Certains initiés le savent ici, Jean-Marc Barr est une sorte de mascotte pour nous depuis qu’a surgi, dans notre paysage cinématographique franco-planétaire, la mythique « free trilogy », ou « trilogie de la liberté » en VF, qu’il a réalisée avec son compère Pascal Arnold. Comme son nom l’indique, la « free trilogy » est composée de trois films consacrés à la liberté : Lovers, Too much flesh, Being light. Trois oeuvres qui certes jetaient les bases d’une philosophie radicalement révolutionnaire (dont la formule officielle était, selon les auteurs, la théorie du « désenchantement illuminé », autrement dit : « la liberté c’est super, putain »), mais surtout formaient comme le pivot central de notre chère Constellation de la Lobotomie Heureuse, magma de babas fables existentialistes et de films déments et vermeils, parmi lesquels brillent les trop méconnus T’aime de Patrick Sébastien, Le Margouillat de Jean-Michel Gibard, Se Souvenir des belles choses de Zabou Breitman, Les Percutés de Gérard Cuq et autre Pauline et Paulette de Pierre-Paul Renders. Ce bref rappel historique en guise d’introduction, donc, pour suggérer quelle émotion est la nôtre au moment de découvrir la nouvelle Oeuvre du divin duo.
Le film s’appelle Chacun sa nuit. Inutile de déclencher une alerte rouge, il est, hélas, plus insignifiant que surréaliste, neuneu sans doute, mais insuffisamment rigolo. Une sorte de ratage pour nos deux artistes qui n’ont su insuffler à ce récit, à mi-chemin entre Julie Lescaut et un ciné-poème à la gloire du Cap d’Agde, la grâce dionysiaque de leurs paraboles d’antan. L’histoire : un groupe de jeunes, quelques garçons, une fille et le frère de celle-ci, ces deux derniers entretenant une mystique voire semi-incestueuse relation. On retrouve le cadavre dudit frère, battu à mort. Chacun sa nuit est donc un whodunit, mais cela compte moins que le message secret du film, qui s’unit sans le dire aux principes existentiels déjà mis en place par la trilogie bien qu’ils soient ici comme mis en veilleuse. Le temps d’un recadrage, pourtant, l’espoir est permis : au moment où l’on apprend off qu’autour du groupe rôde l’idiot du village, celui-ci apparaît furtivement bors-cadre et laisse espérer qu’il va prendre les commandes du film -l’aliéné mental étant le personnage central de tout film CLH qui se respecte. Zut : les réalisateurs s’en désintéressent vite (il a pourtant fière allure, semblant tout droit descendre d’un podium de défilé de mode) et se bornent à chanter comme d’hab’ la gracile énergie des peaux luisant au soleil de Provence et la puissance tellurique de leurs acteurs, dont la profondeur du jeu connecte le film aux flux cosmiques du Grand Tout.
Rien que de très banal de la part des auteurs. De la free trilogy, croisement tout fou entre Dogma-film des familles et journal intime de collégienne fan de Paolo Coelho, Chacun sa nuit ne conserve que l’empreinte fébrile de la quête d’une liberté sensuelle que la société des méchants tente de réprimer, coercition contre quoi s’élève la philosophie fesses-à-l’air prônée par nos deux esthètes badins et subversifs. Mais, hormis ce personnage de débile sympa trop vite expédié, rien ne filtre des résultats des recherches récentes menées par le laboratoire Arnold et Barr. Le public est déçu.