Le nouveau moyen métrage d’Alain Guiraudie est d’abord remarquable par l’économie de son temps et de ses moyens, installant une atmosphère étrange et saisissante en un peu moins d’une heure et développant avec peu un propos insolite autour d’une situation sinon banale, hélas courante : les derniers jours d’une usine dans une région industrielle sinistrée. S’il fallait trouver une filiation à Guiraudie, on pourrait regarder du côté du franc-tireur Moullet (Luc) dont il partage le sens du rythme décalé, de la situation absurde et surtout le mélange de naïveté jouée et d’intelligence qui font au cinéma les enfants les moins cultivés et les plus attachants. Le film garde toujours une distance vis-à-vis de ce qu’il montre ou de ce qu’il révèle, une délicatesse dans le regard le tient aussi loin du naturalisme astucieux que de la fable trop généreuse.
Le point de départ du film est métonymique : une partie -une machine qu’un jeune ouvrier doit démonter au cours de la dernière semaine de vie de l’usine- désigne à coup sûr un Tout. Or, justement, l’enjeu est de découvrir quel est ce Tout à quoi renvoie le titre-énigme : Ce vieux rêve qui bouge. C’est le côté « auberge espagnole » du film, l’opacité première qui enveloppe les êtres et les choses donnant lieu à toutes les interprétations possibles, cette boîte de Pandore de significations étant encore accentuée par la neutralité apparente de tout ce qui se voit, se dit et s’entend dans l’écoulement paisible des jours. Il ne faut pas compter sur le réalisateur pour les explications : son récit est sur la corde sensible ; ce qu’elle joue, c’est au spectateur de le découvrir. A peine ce dernier peut-il, pour éclairer les situations et les propos, se rappeler le chant collectif et plein d’aveux de tendresse qui ouvre le générique. Mais le générique, pour un film qui raconte délicatement, dans lequel un jour ressemble presque au précédent, c’est aussi une information qu’on oublie. A l’inverse d’une bonne partie de la production actuelle, le film de Guiraudie n’est pas une succession de situations sur-signifiées, additionnant les informations au seul prétexte de « ne pas ennuyer le public ». Au lieu d’inciter au sens, Ce vieux rêve qui bouge libère le spectateur de ses réflexes (« l’usine, les ouvriers, encore un film social ! ») et lui fait presque oublier de quoi ça parle. En cuisine, on dirait que Guiraudie laisse reposer (le sens) avant de servir.
Or, c’est dans cette suspension du sens que le film prend toute sa valeur, dans ce regard flâneur qui déplace peu à peu tous les enjeux imaginés par le spectateur pour l’installer dans une utopie, un ailleurs rêvé, dans lequel une usine qui ferme serait autre chose qu’une friche industrielle à venir, un ouvrier licencié autre chose qu’un futur chômeur. La réponse au « quoi d’autre ? » donne la mesure poétique et politique du film. Au lieu de désaffecter ce lieu de travail en racontant l’éloignement d’un monde et d’une culture (ceux du monde ouvrier), Guiraudie redistribue les rôles et les espaces. L’usine devient alors un lieu de rencontre et l’ouvrier un séducteur. Il redonne à ses personnages de travailleurs et à leur corps une énergie fictionnelle qui leur permet d’exister et de désirer encore, eux qui en sont le plus souvent privés par le discours pessimiste et mortifère autour de la fameuse « question ouvrière ». Une réponse à notre interrogation : « qu’est-ce que la machine dans le film ? » peut être avancée. Elle figure l’objet d’un désir libéré de ses contraintes salariées. C’est une machine deleuzienne à coup sûr, le corps retrouvé des hommes après l’effort. Pas le corps ouvrier qui repose dans le cimetière des machines-outils. Celui qui se repose sous la douche infini. Un rêve gay et sa queue qui bouge.