Dans Carrément à l’ouest, comme dans tous les films de Jacques Doillon, la direction d’acteur n’est pas simplement un « moyen » de donner vie au texte et aux personnages : elle est l’essence du film, ce vers quoi converge tous les éléments d’écriture et de mises en scène. C’est ce qui fait la singularité de la méthode de Doillon : la vérité qu’il obtient est toujours immanente aux acteurs, plus encore qu’aux personnages et au récit qu’ils font vivre.
Loin s’en faut, pourtant, que les éléments habituels de la fiction classique soient délaissés. Carrément à L’ouest est un marivaudage, un chassé croisé amoureux dans un décor ou les personnages détonnent et s’égarent. L’essentiel du film se déroule à huis clos, dans la suite d’un hôtel de luxe à Paris où se retrouvent un jeune dealer, une étudiante bourgeoise et une jeune fille paumée en mal d’amour. Le dealer, c’est Alex (Guillaume Saurrel, fraîchement découvert pour le film). C’est un petit roquet, intelligent mais nerveux. Tout commence lorsqu’il se rend auprès d’un mauvais payeur -un bourgeois qui sommeille sur les bancs de la Sorbonne- auquel il donne une correction sous les yeux de sa copine, Fred (Lou Doillon). Fred est attirée par Alex : elle se débrouille pour le retrouver, le suit, voudrait faire des « coups » avec lui pour le rembourser. Dans une boîte, Alex drague Sylvia (Caroline Ducey), une fille pas très sûre d’elle. Fred joue les entremetteuses, aimerait les voir faire l’amour ensemble, sans réaliser qu’elle est elle-même amoureuse d’Alex et que le piège risque de se refermer sur elle.
Le scénario transforme donc une banale histoire de deal en longue négociation sentimentale. Les revirements de ces trois post-adolescents, leurs hésitations, leurs incapacités, sont l’objet d’une observation subtile et attentive par Doillon, qui réussit magnifiquement à concilier la structure écrite du film et la mobilité très libre des comédiens. Les personnages, d’origines sociales éloignées, se dépêtrent comme ils peuvent d’une situation compliquée, excitante et dangereuse, car Fred est en quelque sorte l’otage consentante d’Alex. Par son désir et sa curiosité pour Alex, elle est la première à avoir initié cette rupture avec l’ordre des choses : lassée par son copain (un grand mou auquel Doillon donne sans ménagement le mauvais rôle), elle décrète sa liberté en suivant ce dealer à la sauvette, charmant et imprévisible, et va même jusqu’à le pousser dans les bras d’une autre fille. Sous le dialogue -excellent-, un flux de sentiments s’infiltre secrètement, une demande d’amour inexprimée anime chacun, le tire de sa solitude où l’y ramène, alternativement. Lorsque les choses reprennent leur cour, l’ordre établi n’est plus là où l’on pensait le trouver.