D’un côté la pédophilie, sujet-sourdine casse-gueule à Hollywood et ailleurs (L’Effet Papillon ou La Mémoire du tueur, nanar belge à venir) ; de l’autre la critique acidulée de l’Amérique pavillonnaire et ses sinistres écueils à la American beauty. Capturing the Friedmans, docu-phénomène du dernier festival de Sundance fait a priori très peur. Surprise, le film saute tous ses pièges avec une frontalité salvatrice, en questionnement permanent, fasciné par les filons qu’il découvre. La base : un fait divers assez banal dans sa monstruosité. Arnold Friedman, enseignant paisible à la retraite, donne des cours d’informatique dans sa chaleureuse maison familiale. Enfants soudés, atmosphère joyeuse, épouse chérie, l’idyllique tableau n’a plus qu’à se fissurer. Un magazine pédophile capté au hasard par la police et quelques sur-médiatisations plus tard, Friedman et son fils sont arrêtés pour le viol d’une trentaine d’ados du quartier.
Coupable ou innocent, le film se prononce assez vite. Pédophiles certainement, boucs émissaires sûrement, les Friedman provoquent en tout cas une curée démesurée où chaque témoin en profite pour délivrer son propre malaise. Le film glisse alors vers le portrait d’une société asphyxiée de douleur, qui bouffe du média comme remède miracle. Tous les témoignages, de la famille aux voisins, de la police à la justice, relèvent davantage de la confidence contradictoire et étriquée qu’à un empilement d’éléments démêleurs. Mais si ces images laissent indéniablement une trace, elles sont toujours à deux doigts de s’inverser. Pas étonnant que la déchéance des Friedmans vienne donc surtout de leur perte de contrôle médiatique -leur arrestation coïncidant avec l’irruption de nouvelles caméras, maniés par d’autres.
Dès lors, la vidéothèque tentaculaire de ces filmeurs forcenés du quotidien (allant même jusqu’à immortaliser leurs dernières heures de liberté au tribunal) changera de sur-signifiance : de La Petite maison dans la prairie, on passe à La Famille Adams. Toujours conscient de l’incroyable potentiel de son sujet, Andrew Jarecki ne s’arrête pas là, décidé à saisir le maximum d’interprétations de cette manne de témoignages, comme s’il voulait lui aussi s’y perdre pour mieux sonder le mystère. Derrière l’autopsie au vitriol de la middle class US et la fascinante réflexion sur l’image, il parvient à dessiner, de manière quasi-subliminale, un portrait d’Arnold Friedman : un type seul, fatigué, insondable, profondément triste et incompris, condamné à masquer sa monstruosité en recouvrant sa vie d’une imagerie de série télé.