Avant toute chose, saluons la politesse de la Paramount, grâce à qui le film s’invite aujourd’hui en Russie, en Corée du Nord et en Ukraine, dans les chaussons d’un titre – « The first avenger » – nettement plus courtois. Le problème est facile à identifier, tant est lourde la charge symbolique contenue dès l’origine dans l’épopée du capitaine Amérique, super patriote drapé dans une américanité qui est son seul pouvoir. Ressortir des cartons une telle parabole n’est pas rien, et on imagine quels dilemmes durent secouer les bureaux de Marvel au moment de mettre le film en chantier. Là-dessus le film se révèle, d’emblée, assez malin. Riche idée en effet que de planter le récit, tout simplement, là où le situait la BD d’origine, au milieu de la Deuxième Guerre mondiale. Riche idée parce que c’est un moyen de figurer, en même temps que l’amorce d’une épopée fidèlement retrouvée (celle d’un jeune et zélé patriote pour qui, parce qu’il est trop gringalet, les portes de l’armée restent close, avant qu’une expérience top secrète le transforme finalement en super-troufion), le cadre dans lequel un tel mythe, celui de la BD, a pu prospérer. C’est pour le film un moyen plutôt habile de résoudre le soupçon de reconduire l’aura de propagande nationale fatalement attachée au personnage. Et cela en la représentant, littéralement : avant d’être envoyé au front, le colosse étoilé est d’abord mobilisé comme pin-up, pantin de propagande bottant les fesses d’Hitler façon théâtre de Guignol, à l’image exacte de ce qui fut, à l’époque, la première couverture de la BD. Astuce simple, et payante, qui tient moins de l’ironie que d’un goût assez charmant pour le chromo d’époque (Joe Johnston fut en d’autres temps l’auteur d’un attachant Rocketeer animé par les mêmes ambitions).
Chassée ici (du côté de l’enluminure patriotique), il fallait bien néanmoins que l’idéologie se trouve un autre chemin. Celui choisi par le film est, là aussi, assez séduisant. C’est une voie un peu capra-esque, qui finalement situe moins l’Amérique au bout des actes ou des convictions (la foi de l’aspirant soldat dans les valeurs du pays) que dans un corps qui d’emblée, dans sa condition, l’incarne. Cette condition, celle de l’underdog dont on sait l’éternel succès à Hollywood, est bien le superpouvoir ici à l’œuvre, plus que le zèle du patriote. Deux choses le disent, là encore assez habilement. D’abord une réplique, une punchline idéale lancée au super nazi (lui-même tout aussi réussi dans un registre feuilletonesque) qui demande, en substance, ce que le super Américain a de plus que lui et à qui l’autre répond quelque chose comme : rien, justement – voilà le secret. Ensuite, un objet : le bouclier étoilé dont pourtant la valeur d’emblème semblait acquise, et auquel le film trouve une autre origine que le drapeau – une bête portière de taxi, un sigle populaire. C’est tout le secret, toute l’efficacité d’un récit aussi usé que le rêve américain : que l’éveil d’un héros ne se donne qu’à condition de pouvoir reconnaître en lui les traits de l’anonyme sur qui le surhomme a germé ; que la charpente surdimensionnée du capitaine Amérique laisse intact le regard niais de l’enfant ingrat qui, autant qu’à l’Amérique, voudrait plaire à la fille d’à côté.