Bonjour.
Party girl (Marie Amachoukeli, Claire Burger et Samuel Theis)
C’est une belle histoire, émouvante dans son principe, même s’il faut attendre assez longtemps pour en prendre la mesure : Angélique a passé la soixantaine, c’est une entraîneuse de cabaret que son âge va contraindre à la retraite. Alors elle se décide à se caser, à se choisir un mari, en trouve un gentil, très gentil, et très amoureux, un ancien mineur aux bras tatoués dévoilés par les manches courtes de ses t-shirts AC/DC. Tout cela se passant à Forbach, avec accent à couper au couteau, et l’essentiel du casting étant composé de non-professionnels, le film fait craindre longtemps un type de romantisme à dos de prolos toujours un peu inquiétant, surtout quand il flirte comme ici avec une ambiance Confessions intimes. Party Girl a toutefois une particularité, c’est que son héroïne est en fait la mère de l’un des trois cinéastes, qui d’ailleurs y joue son fils, aux côtés d’autres membres de sa famille. Et c’est précisément là que le film finit par toucher un peu, sur le versant du portrait de famille – belles scènes avec les enfants réunis autour de cette mère oiseau de nuit qui n’arrive pas à se résoudre à changer de vie. Divorcer de la nuit pour épouser sans conviction un gros nounours de jour : c’est un assez beau thème, dont la mélancolie doit se lire dans les yeux du personnage, à la fois fatigués et en même temps toujours pétillants de malice juvénile. Et pour une fois le titre, anglais (c’est quand même souvent ridicule, ces films français maquillés avec un titre hollywoodien), est assez bien choisi. Néanmoins, Party Girl se traîne un sérieux problème, c’est que sa mise en scène a été glanée au rayon bouillie et purée. Autant dire qu’il n’y en a pas du tout : on doit être à un ratio de 20 plans par minute, et donc moins chez Pialat que Michael Bay. Ce genre de montage épileptique (qui bien sûr ne manquera pas d’être justifié par l’argument d’un désir d’être « au plus près des corps et des gestes », ou toute autre formule trouvable dans les bons manuels de note d’intention) est quand même la négation absolue de la mise en scène, le meilleur moyen de ne pas s’y coller. Mais après tout, si le film parvient à émouvoir un peu, ce n’est déjà pas si mal.
Jérôme Momcilovic
Mister Turner (Mike Leigh)
Un dinosaure peut en cacher un autre : après m’être farci Godzilla la veille pour me consoler d’avoir raté le Sissako, j’ai vu hier le Mike Leigh. Une belle rasade d’Angleterre pré-victorienne, idéale pour patienter d’ici le Ken Loach qui arrive la semaine prochaine. Il y avait de quoi être intrigué a priori par cette équation un peu inattendue : Mike Leigh + J.M.W. Turner ( puisqu’il s’agit d’un biopic du peintre). Mais de quoi être très inquiet, aussi, à l’idée que Leigh ait pu se mettre en tête de livrer son autoportrait testamentaire à travers l’histoire de Turner, vieux sociopathe rabougri qui ne sait quoi faire de son art – le livrer en pâture à un public idiot, ou bien le saborder ? Tout oppose le portraitiste et son modèle : Turner ne s’exprime que par borborygmes, n’aime que les nappes de brume et les domestiques défraichies qu’il culbute sans les embrasser ; Leigh est un cinéaste du verbe et de la direction d’acteurs, ainsi qu’un humaniste (grinçant, mais un humaniste tout de même). Mais l’ambition de Leigh est pourtant bien là, dans cette analogie grotesque : Mr. Turner met une telle ardeur à incarner l’artiste qu’il va jusqu’à se mesurer à son art. D’où ces longs moments d’embarras dans lesquels Leigh, féru de composition sans pour autant être une flèche en la matière, martyrise son chef-op’ pour outrer la joliesse paysagère, à grands renforts de cumulus flottant au-dessus des lacs dormants. Le tout réarrangé à la sauce Leigh, avec ses anicroches théâtreuses et ses études de caractères alambiquées. À la sortie, les commentaires des septuagénaires en extase ajoutaient au sentiment d’avoir vu, littéralement, un autoportrait testamentaire.
Yal Sadat
Captives (Atom Egoyan)
Le cinéma contemporain peut se diviser en deux : les films avec Rosario Dawson ratés et les films avec Rosario Dawson réussis. Le film d’Atom Egoyan vient d’inventer une troisième catégorie, les films avec Rosario Dawson mi-chèvre, mi-chou, provoquant quelques gloussements de critiques blasés avant de faire taire les cyniques le temps d’une scène réussie. Sur le fond, Captives fonctionne comme un film de genre bien repassé que le réalisateur s’emploie à chiffonner pour devenir le roi du cool. Une histoire simple donc, d’enlèvement d’enfant, de parents blessés et d’ogre voyeuriste sur fond de paysages enneigés où l’on retrouve surgelés tous les thèmes d’un cinéaste qui avait égaré son accréditation cannoise depuis quelques années. Sur ces motifs appuyés, Egoyan joue une partition dissonante en éclatant la structure chronologique de son récit, voilant artificiellement la lisibilité d’un récit assez convenu. Le film se révèle ainsi franchement problématique quand sa mise en choucroute narrative lui permet de glisser sous le tapis des situations totalement improbables, forçant tous les verrous pour mener le spectateur à la situation voulue. On n’est alors jamais loin du grotesque de De Palma écrivant ses propres scénarios, mais sans le baroque ouvragé de sa mise en scène. D’où les lazzis dans la salle Lumière, parce que, c’est bien connu, les journalistes n’aiment pas qu’on les prenne pour des buses. Ils ont tort, tant le film dépasse parfois son statut d’œuvre de petit malin pour s’installer dans une curieuse ambiguïté, dessinant sur chacun de ses personnages, et, surtout les victimes, les traits d’un monstre potentiel, quand bien même le coupable est connu dès les premières minutes du film. Et puis – attention spoiler – Ryan Reynolds n’est pas qu’une figurine, c’est aussi un comédien. Quant à Rosario Dawson, on ne l’a jamais vue aussi mauvaise, mais ça n’a aucune importance.
Guillaume Orignac
PALME
La nuit est tombée sur la Croisette et les feux des premières soirées se sont allumés sur la plage. Le bourdonnement des sound system attirent les passants massés devant le parapet, où les premières files de fêtards se forment, entre ceux munis d’une invitation et ceux qui espèrent s’incruster. A la soirée de la Quinzaine, un gentil monsieur aux cheveux blancs et aux traits malicieux avance tranquillement vers l’entrée. Présent à la fête, mais pas tout à fait : il a le sourire de l’observateur, embedded parmi la faune des festivaliers, curieux de tout, et volontiers rieur. Ce Monsieur est connu pour ses beaux documentaires, il s’appelle Frederick Wiseman. Une jeune femme aux jambes élancées et à l’allure andalouse marche à ses côtés. Elle se penche à son oreille, lui murmure les mots doux qu’on aimerait entendre. C’est l’éternelle histoire de la jeune fille déposant les pouvoirs de sa grâce entre les mains parcheminées de la sagesse, ici, parmi la foule des fêtards.
(Soirée d’ouverture de la Quinzaine des réalisateurs, C-Beach, Cannes)
GO
FACEPALM
(Veuillez nous excuser pour cette interruption involontaire de nos programmes : suite à un incident, nous n’avons aucune scène honteuse à vous présenter aujourd’hui. Pour des raisons d’organisation, nous avions jugé raisonnable de miser par anticipation sur Winter Sleep, de Nuri Bilge Ceylan, où nous comptions prélever n’importe quelle scène présentant un austère moustachu accablé par lourd poids de la vie sous un ciel d’orage rempli de nuages sombres et philosophiques. Or il se trouve que Winter sleep non seulement ne contient aucune scène véritablement honteuse, mais que c’est même un assez beau film. M. Ceylan n’ayant pas eu la courtoisie de nous en avertir à temps, nous nous voyons contraints de renoncer pour aujourd’hui à cette rubrique. Il se joint néanmoins à notre embarras en vous présentant ses plus sincères excuses pour ce désagrément. Merci de votre compréhension)
JM
BONUS
On vous le disait encore l’année dernière : à Cannes, la frontière entre les films et la vie est si poreuse que les films, ces coquins, passent parfois la rampe pour venir parader sur la Croisette ou dans les fêtes. Par exemple hier soir, à la soirée de la Quinzaine, où fut rejouée in vivo la scène la plus réussie de Bande de filles, le film de Céline Sciamma.