Bonjour.
Timbuktu (Abderrahmane Sissako)
Premier film de la compétition et préposé à l’habituelle représentation africaine, le film d’Abderrahmane Sissako essuie les plâtres sans grand éclat mais sans indignité. Sur le papier, le sujet avait de quoi allécher le festivalier encore tout excité d’être descendu de son train sous un soleil 100% pur Var : filmer Tombouctou à l’heure des milices islamistes, avec des vrais morceaux de fanatiques dedans. Évidemment, on n’est pas chez Peter Berg et le rythme languide du film épouse aussi bien son horizon de conte que sa tentative d’observation quasi en live du contrôle exercé par les djihadistes sur une population. C’est d’ailleurs tout l’intérêt du film que de déplacer les vues habituelles sur les soldats d’Allah en substituant à l’image grossière de leur violence guerrière une autre plus subtile et surprenante. Soit celle de législateurs sourcilleux mais légèrement ignorants du Coran, pas foncièrement méchants mais totalement barbares, comme le sont tous les amateurs de droit montés sur échasses. Cela donne au film ses meilleurs vignettes, entre humour (les islamistes discutant des qualités de Zidane) et léger sentiment d’absurde angoissant (l’infinité des problèmes de traduction). Le problème est quand Sissako cherche à faire pousser du grand cinéma sur ce simple mais efficace terreau. Esthétique paysagère, exotisme appuyé et montage alterné lourdaud font ainsi constamment dériver le film vers une méditation ténébreuse sur la violence des islamistes à l’endroit des sociétés traditionnelles. Du coup, dans la salle où les journalistes piquaient sévèrement du nez dès le premier jour (on prévoit les cercueils pour le dernier), c’était un peu la loterie : selon les plages de sommeil, on pouvait voir une fable pataude certifiée Afrique millénaire ou bien un émouvant petit traité kafkaïen en djellaba.
GO
Bande de filles (Céline Sciamma)
Profitant de ce que j’avais ingurgité au réveil une triple dose de paracétamol (rapport à ma grippe, qui va un peu mieux, merci), je me suis risqué ce matin à un double programme FEMIS. Soit : Bande de filles, le nouveau Céline Sciamma, et Party Girl, réalisé par un triumvirat d’anciens élèves et dont je dirai un mot demain. Bandes de filles a exactement le même problème que Tomboy, le précédent film de Sciamma. Un beau sujet, promettant sinon le souffre, au moins un peu de trouble et d’originalité, et qui finit étouffé dans le corset d’une application de bonne élève, excessivement sage et timorée. Ici le sujet avait vraiment tout pour affoler l’imaginaire. Quatre visages, quatre corps, érotiques et puissants : ceux d’un gang lipstick de filles noires et banlieusardes faisant régner la terreur, de leur cité à l’esplanade de la Défense. Promesse, donc, de re-fertiliser ce terrain du film sur la jeunesse que le JCF (Jeune Cinéma Français) laboure ad nauseam depuis 20 ans, avec l’énergie moite et sexy de la délinquance iconique. Sciamma y parvient, ici et là, quand elle se laisse aller à sa fascination pour ses modèles, effectivement fascinantes. C’est-à-dire quand elle se contente de les filmer, et recueille alors un peu d’énergie, un peu de fantasme, un peu de mouvement. Par exemple quand elle les enferme à double tour dans une chambre de Novotel qu’elle transforme en plateau de clip – d’ailleurs c’est notre Palme du jour (cf. ci-dessous), preuve qu’un film très moyen peut réussir une belle scène. Le reste du temps, les filles sont tenues en laisse par la grosse main d’un scénario farci de thèmes aussi convenus que prévisibles, et déclinables en sujets de société pour la presse nationale : grand frère phallocrate et violent, système scolaire qui condamne au C.A.P, etc. D’ailleurs, le film triche un peu avec son titre qui faisait vaguement rêver à une version frenchie des productions Corman avec filles à couteaux et blousons de cuirs (le beau Switchblade Sisters de Jack Hill, par exemple) : c’est en fait l’histoire d’une seule de ces filles, ce qui permet à Sciamma de serrer un peu plus la gaine sociologique de son scénario. Dans la bouche des filles, qui sont malgré tout très bien, ce scénario agit comme un bâillon, et la fausseté de certaines répliques provoque ici et là un peu d’embarras – quand ces mots censés être ceux des banlieusardes sentent un peu trop l’encre propre d’un stylo plume de petite blanche. Gageons cependant que le film, qui n’est pas nul (comme Tomboy) aura un certain succès. D’autant qu’il est parfaitement raccord avec ce nouvel académisme du JCF, qui dépoussière ses vieilles marottes avec des références pop renouvelées et un coulis de synthétiseurs devenu systématique – le syndrome Ulysse Klotz, ou M83 (ici c’est Para One, mais ça sonne pareillement rétro-sympa). On voit d’ici la couv des Inrocks. Pronostic pour le titre : « Allez les filles !!! »
JM
FLA (Djinn Carrénard)
Le jeune messie du Do it Yourself est de retour. Pas en compétition, mais en ouverture prestige de la Semaine de la critique. On était donc curieux de voir comment avait viré le réalisateur d’un premier film tourné avec 150 euros, maintenant qu’un petit paquet de billets était tombé dans sa poche. Curieux mais un brin sceptique, tant Donoma ressemblait à un collage poussif de scènes tournées en atelier d’improvisation. Surprise : FLA (pour Faire l’amour – titre à la sobriété ravageuse) ressemble à un collage poussif de scènes tournées en atelier d’improvisation, filmées par deux épileptiques, et montées par un amateur de clips instagram. Soit deux heures quarante-cinq de séquences où les personnages se tirent la gueule sans raison (le film est un véritable concours de bouderies enfantines) entrecoupées de jolies séquences musicales ramassant l’histoire en petits souvenirs mélancoliques. Si FLA était une chanson (essayons car après tout, c’est à peine un film), ce serait un morceau de rap tendance guimauve : accroche tapageuse, flow hasardeux, paroles ineptes et refrain hyper sucré pour faire passer la potion. Dans son interview donnée à Télérama, le réalisateur glisse deux remarques : le manque d’audace formelle du jeune cinéma français, et l’ambition qu’il a eu d’écrire des dialogues au cordeau. Résultat du laboratoire : une bouillie visuelle farcie de jump-cuts hétérogènes et un art du dialogue indexé sur les points de suspension, les onomatopées et l’usage répété du mot « sérieux ». Si chez Carrenard la vie ressemble à un bouillon de rage et d’amour, sur l’écran elle ressemble simplement à la mort, fixée dans le formol de son théâtre de boulevard. Sérieux ? Sérieux.
GO
PALME
Les filles s’agglutinent sur le lit double d’une chambre d’hôtel, qu’elles ont réservée pour la nuit. Dans les volutes de fumée de joint, et entre leurs rires tranchants qui recouvrent le ronron lointain de la télé, elles dosent des whisky-cocas dans des bouteilles en plastiques. Elles font des essayages, aussi, comme si elles se préparaient pour sortir : les robes leur vont bien, malgré les faux plis causés par les antivols, qu’elles ont préféré ne pas arracher pour ne pas faire de trou. Soudain l’image devient bleue et l’une des filles, la plus belle, regarde la caméra pour commencer le play-back d’une chanson de Rihanna. Alors les trois autres se lèvent, la rejoignent sur le podium et font un clip dérisoire et gracieux. On jurerait que la soirée ne fait que commencer, mais non, les robes n’ont pas été volées pour autre chose que ça : une soirée pyjama à l’hôtel, à chanter du Rihanna à tue-tête.
(Bande de filles, Céline Sciamma)
JM
FACE PALM
La silhouette d’une jeune femme se découpe sur le fond lumineux de la ville. Son amant la rejoint sur le balcon. C’est l’heure bleue, ou jaune. Enfin, le ciel est gris, blanc, on ne sait plus. Son visage souriant. Lui fait la gueule. Elle lui parle de ce qu’elle avait toujours cru devoir faire le jour où elle tomberait enceinte. Quitter cette ville de tarés, son ciel bas parce que du coup, pas question d’élever un enfant ici – au fait, sérieux, elle a grandi à Perpignan, alors du coup elle a une maison là-bas. Et puis du coup il y a la mer. Sérieux. Alors l’idée c’est de ne pas rester ici. Mais quoi, tu me demandes même pas ? lui fait remarquer le jeune homme. Il est vénère. Mais si je te demande, sérieux, c’est juste que je propose avant, c’est tout. Sérieux. Le ciel est rose, vermillon, jaune paille. Enfin, Perpignan, quoi.
(FLA, Djinn Carrénard)
GO