Bonjour. Première vraie journée aujourd’hui, commencée avec deux films parapluies, en direction desquels me portait moins l’espoir d’un choc esthétique que le besoin d’être au sec – ce matin, comme hier, il pleuvait des cordes sur la Croisette. Qu’ils soient tous les deux remerciés, Jeune et jolie et The Bling Ring, de ma part et de celle de mon K-Way, pour ces trois heures de répit. Le problème, avec les films parapluies, c’est qu’on a tendance à les oublier derrière soi au moment de regagner la sortie.

 

Ainsi du film d’Ozon, tout à fait regardable et néanmoins peu passionnant. Cela dit, je mentirais en disant que je n’avais pas à l’endroit du film une certaine curiosité, la même qui accompagne la découverte de tous les films d’Ozon, dont l’œuvre déjà très fournie inspire plutôt la sympathie. Le titre-même est on ne peut plus ozonien, c’est la promesse de retrouver un style fait de poncifs (mais toujours assez subtilement maniés), longeant opportunément de très identifiables sujets de société, un style voué vraisemblablement – et cette ambition n’est pas sans noblesse – à produire un cinéma d’auteur destiné à un public qui ne regarde plus que la télévision. Cette ambition se répartit sur deux voies, suivies parallèlement. La première, généralement la meilleure, tire tout le profit du goût d’Ozon pour les petits dispositifs clos autour d’un scénario à la fois systématique et ludique (Dans la maison, film très limité mais bien ficelé). L’autre, où parle peut-être la frustration de devoir s’en remettre à des dispositifs si lisibles, est plus sobre, vise une plus grande délicatesse – mais Ozon y est incontestablement moins doué. Jeune et jolie relève de cette veine-là, quoique le récit soit encore significativement balisé (par quatre saisons, et quatre chansons, annonce le pitch). C’est, comme on dit, le portrait d’une jeune fille d’aujourd’hui – Marina Vacht, jeune, jolie. Fille de bourgeois, elle prépare son bac à Henri IV, puis s’essaie à la prostitution comme on se découvre un nouveau hobby. La première moitié du film – les deux premières saisons, été et automne – révèle combien Ozon est peu à l’aise dans la sobriété : toute cette partie, plate et terriblement datée, revient d’un cinéma dont il fut l’un des principaux ambassadeurs (on pense à ses courts métrages), cinéma d’auteur français des années 90, issu principalement de la FEMIS et friand d’histoires familiales et balnéaires. L’intérêt revient un peu à mesure que le film se dirige vers sa conclusion et qu’Ozon laisse remonter un goût qui le travaille depuis longtemps pour la satire gentille de la bourgeoisie (la sexualité de la jeune fille qui fait irruption dans le cocon bourgeois et le menace d’explosion, c’est encore et toujours Théorème). Reste qu’il est difficile de trouver beaucoup d’audace dans ce film de bon élève un peu trop sage, qui fait réciter du Rimbaud à ses lycéens pour nommer son sujet (« On n’est pas sérieux… »). On ne la trouvera en tout cas ni dans le parallèle un peu convenu entre l’argent des passes et celui des consultations psy, ni dans la conclusion qui prend soin, de façon un peu trop voyante, de contourner la morale puritaine possiblement annoncée par le script.

 

Être jeune et joli, c’est aussi, de longue date, le programme assez peu ambitieux de la filmographie de Sofia Coppola. The Bling Ring, imaginé à partir d’un fait divers savoureux glané dans Vanity Fair (en 2009, un gang de wannabes dévalisait les villas des people d’Hollywood), ne déroge pas à cette feuille de route : c’est un film creux, vaguement agréable à l’œil, parfaitement inconséquent. Grosse différence, toutefois, avec l’effroyable Somewhere et son modernisme en carton : c’est un film au fond très modeste, qui ne feint jamais d’offrir plus que le peu qu’il a en poche. Soit : son sujet en or, le récit que Vanity Fair lui apportait sur un plateau. Parce que le sujet bien sûr vaut comme portrait de l’époque : traduite devant la justice pour ses petits larcins sur l’Olympe du Star System, la bande de groupies finit gratifiée d’un quart d’heure warholien, et la boucle du film se referme sur les groupies passées de l’autre côté de la rampe, débitant devant les mêmes caméras les mêmes âneries que leurs idoles. C’est le même genre d’instantané que celui trouvé dans le spring break par Harmony Korine, à la différence que chez Korine, la tautologie était le point de départ de la mise en scène. Ici, elle n’est que l’horizon du scénario, qui dégaine mollement quelques scoops du genre : la célébrité est l’opium du peuple jeune. Ou : l’Amérique est un pays d’illuminés soluble dans le miroir que lui tendent ses médias. Ces révélations, Sofia Coppola les filme platement, avec l’inspiration d’une série TV teen vaguement ironique – pour la première fois son cinéma verse dans la satire, pour un résultat efficace mais très convenu. Reste qu’on se demande, au bout de ce film aussi distrayant qu’anecdotique, quel est au juste son point de vue. Ou plutôt non, on ne se le demande pas, le premier plan est assez clair, qui voit la petite bande franchir la grille d’une villa de star : le plan n’est pas filmé du point de vue des jeunes, mais bien de celui de la propriété, à travers l’œil de la vidéosurveillance. C’est dire si on est loin de Spring breakers, autant que du Wassup rockers de Larry Clark. Dans les deux cas, la comparaison est impitoyable.

 

Un mot de Gatsby le magnifique pour finir. Un mot suffira pour évoquer cette croute, à équidistance de Fitzgerald et de Jean Roch. Un mot pour dire qu’il est presque fascinant de voir à quel point le mauvais goût chez Baz Luhrmann ne s’agrège jamais en style (d’autres y parviennent très bien), et ne trouve jamais, par exemple, aucune excuse camp. Le film est simplement hideux, c’est une sorte d’attraction Disneyland dégénérée conçue autour des personnages de Fitzgerald (pour les étourdis qui auraient oublié qu’il y a un grand roman derrière cette pâtisserie, Luhrmann prend la peine d’une surimpression de caractères d’imprimerie), dans laquelle il y a, allez, cinq minutes potables, quand Gatsby fait la visite guidée de sa propriété que la 3D transforme en maison de poupée. La 3D, d’ailleurs, n’était pas une idée si saugrenue pour adapter Gatsby, qui se déploie depuis la mesure d’une distance, celle qui sépare Gatsby de la fameuse lumière verte. Cette perspective, Luhrmann la filme souvent bien sûr, mais seulement après l’avoir mis en scène, une première fois, de la façon la plus lourde qui soit, au moyen d’un travelling numérique survolté ralliant l’œil de Gatsby depuis le ponton de Daisy. Luhrmann n’en est pas moins un auteur – effroyablement mauvais, mais auteur quand même. La preuve, un motif ici l’obsède : drapé des voiles autour des fenêtres, drapé des chemises en soie dont Gatsby fait l’inventaire, drapé des bajoues de Di Caprio qui ondulent quand il s’énerve, sous l’effet du ralenti le plus vulgaire de l’histoire du cinéma. A choisir, mieux vaut prendre la pluie.