Bon, on va râler un peu, et que les pisse-froid nous pardonnent. Cette irrépressible envie de s’étouffer de colère devant un film qui ne le mérite même pas, qui ne mérite rien du tout d’ailleurs, est contemporaine du jaillissement d’une question du fond de nos gorges dilatées par mille bâillements irrités. Cette question, qui advient disons au tiers du film, est la suivante, elle surgit drapée d’une lumineuse évidence : mais qu’est-ce qu’on en a à foutre de cette histoire ? Rien, tellement rien qu’on hésite à présent à en dévoiler la pauvre architecture. Allons-y quand même : Hélène Fillières, lookée Loulou, est séduite par un Américain (call him Agostino), mais en allant chez lui elle casse une lampe. Agostino va faire réparer sa lampe chez un réparateur de lampe, jusqu’ici tout va bien. Mais le réparateur de lampe est une réparatrice de lampe, c’est Jeanne Balibar, et l’Amerloque la séduit aussi sec. Mais Agostino abandonne l’une, abandonne l’autre, ce qui rapproche les abandonnées. A la fin tout le monde danse, voilà.
Pour le tête-à-claques award du film le plus insupportable de l’année, C’est pas tout à fait la vie dont j’avais rêvé de Michel Piccoli a enfin trouvé à qui parler. Outre qu’ils sont imbuvables, il se trouve que ces deux machins ont pour point commun d’être réalisés par des personnalités bien connus du cinéma français : Christine Laurent est en effet la scénariste attitrée de Jacques Rivette. Quelqu’un qui a écrit (en compagnie de Bonitzer et Rivette lui-même) La Belle noiseuse, Jeanne La Pucelle, La Bande des quatre, Haut bas fragile, Histoire de Marie et Julien, Va savoir et l’attendu Ne touchez pas à la hache. Autrement dit, de la belle ouvrage. Call me Agostino est son cinquième film. Il pue le cinéma entre amis, les mondanités parisiennes, le parquet bien ciré des grands appartements. Prenant les atours d’une rêverie pas fraîche et sous-sous-sous-sous-sous-sous-sous-sous-sous-sous-sous-sous-sous-sous-sous-sous-sous-sous-sous-sous-rivettienne, le film donne dans la « fantaisie ». Ah, la fantaisie, on y arrive. En voilà une plaie du cinéma français. Il y a deux types de fantaisie dans le cinéma bourgeois franco-parisien. Celle que l’on refourgue aux classes moyennes comme de la confiture aux cochons : la fantaisie réaliste, sur les petits tracas de la vie quotidienne, avec ses accessoires, ses scènes absurdes, ses gros mots (chef de rayon : Jeanne Labrune). Et celle que l’on goûte entre gens raffinés, esthètes, cultivés, qui ont vu des tas de films, appartenant aux cercles convenables, qui ont des tas d’amis dans les commissions de financement : la fantaisie onirique, veinée de mystère, de métaphores, de grains de folie, qui parle de tout et de rien, du dérisoire et de l’essentiel (chefs de rayon : Piccoli et Laurent, très accidentellement Akerman lorsqu’elle donne l’épouvantable Demain, on déménage).
Répétons : qu’est-ce qu’on en a à foutre de ce délire petit bourgeois sans imagination, accumulant les personnages-caméos qui n’apportent strictement rien au récit, ratissant au passage les éternels old-pigistes du cinéma propre sur lui (Maurice Garrel et Esther Gorintin, on les adore, mais on en peut plus de les voir faire un coucou amical et inutile dans les films de leurs amis) ? Rien, voir Jean-Pierre Cassel faire des claquettes (comme c’est original), Hélène Fillières et Jeanne Balibar s’amuser comme des folles à enfiler des abats jour comme des robes de soirée, et cette séance insoutenable de numéro dansés qui clôt le film parce qu’on ne sait pas comment le clore, et toute cette quincaillerie pseudo-rêveuse qui n’enchante que ceux qui l’a font, basta. Il y a bien d’autre chose à voir au cinéma en ce moment, rien que Poséidon par exemple, le nanard du mois, qui est porté par une idée de cinéma infiniment plus sympathique et saine que ce triste Call me Agostino, qui s’autorise l’appellation comédie comme un privilège d’aristocrate.