Douze ans après le coup de tonnerre Baise-moi, Despentes met de l’eau dans sa bière et revient au cinéma par une porte plus mainstream, sur l’air de : « Qu’avons-nous fait de nos vingt ans ? ». Dans les années 80, en province, Gloria et Frances s’aiment de l’amour vache qu’inspire l’adolescence en révolte, quand elle mûrit dans les pogos des Béruriers noirs : no future, à la vie à la mort. Une trentaine d’années plus tard, Gloria est restée punk autant qu’on peut l’être à son âge, c’est une traîne-savate de MJC. Frances, elle, est montée à la capitale où elle est devenue la respectable animatrice d’une émission littéraire de fin de soirée, et camoufle aux yeux du gratin rive-gauche qui la vénère le petit cœur de punkette butch qui palpite encore en secret. Quand le film commence, Gloria voit débarquer Frances, venue la délivrer de la lose pour l’installer dans son château parisien : Gloria, qui n’a rien de mieux à faire, accepte, revend ses vieux vinyles pour se payer le TGV, direction le choc des cultures.
De l’épatant Baise-moi à ce gentil téléfilm, la dégringolade est facile à identifier : c’est le romantisme punk de Despentes qui chute de morale en sujet. Ce qui revient à le diluer deux fois, une première dans l’eau de la sociologie culturelle, une autre dans celle de la chronique sentimentale. Et donc à faire à la fois une erreur et un pari risqué. Erreur fatale : le folklore, à quoi se résume ici le punk puisqu’on le traite en culture, avec ce regard attendri et démocratique de la nostalgie qui ramène chacun à ses marottes générationnelles – quand le personnage de Béart excuse celui de Dalle d’un « Elle est punk rock ! » (qui mérite la palme de la réplique la plus grotesque de l’année), c’est le film qui parle et désigne son sujet. Pari risqué ensuite, que la voie sentimentale où s’engage Despentes. Parce que dès qu’il s’agit de sortir du musée de ses vingt ans (les flashbacks sur les eighties keuponnes, qui sont ce que le film réussit de mieux) et de prendre vraiment en charge les affects de ses personnages, Despentes se révèle une cinéaste assez nulle, capable, dans l’essentiel des scènes entre Dalle et Béart, de sommets de ridicule.
Cela dit, une fois identifié ce cadre et ces franches limites, il n’est pas interdit d’être touché par le film, dont la ringardise procède d’une forme d’innocence finalement assez attachante. Attachant, le portrait de l’adolescence révoltée des années 80 qui semble revenir lui-même de la télé de l’époque – par endroits on dirait vraiment un épisode de Pause café. Attachante surtout, la manière dont Despentes fait remonter in extremis la morale punk / féministe / provinciale que le film avait jusque là étouffée, en un happy end castagneur et complètement incongru, à la fois grotesque et aimable, idéale conclusion de ce chick flick mal peigné.