En croyant un peu trop fort dans les pouvoirs du démon de l’inspiration, on pourrait penser que Burn After Reading est le genre de film que les Frères Coen n’auraient pas réussi voici quelques années, avant que No country for old men, d’un coup de baguette magique, les ressuscite tout à fait. C’est-à-dire : un petit film, pas trop dévoré par l’ambition, pas trop resplendissant, mineur en un mot, mais qui sous son air de rien fourmille d’idées et raconte plein de choses. Donc : Burn After Reading raconte une histoire sans importance, où Linda, une quadra mal dans sa peau (McDormand) récupère un CD rempli de données appartenant à un analyste de la CIA récemment viré ; elle veut le faire chanter pour se payer une liposuccion, mais, de toute façon, les données n’ont aucune valeur, puisque l’analyste en question (Malkovich) est un rond de cuir sans envergure, occupé à écrire ses mémoires, qui n’intéresseront personne si toutefois un éditeur les accepte. Autour de ce noyau de récit, la femme de l’analyste (Swinton), qui couche avec un flic (Clooney), le collègue demeuré de Linda (Pitt), son patron, fou d’elle (Jenkins), etc. Le film est peuplé de crétins, du débile de base (Pitt) à l’andouille paranoïaque (Clooney), en passant par le nigaud éructant (Malkovich, excellent, n’ayant d’autres commentaires durant tout le film que des Fuck !, des Fuck ! et encore des What the fuck !). Tout cela plait aux Coen, est assez plaisant de fait, bien que ce défilé risque à tout instant l’essoufflement.
Au-delà de la farce un peu vaine, il y a quand même quelque chose à quoi s’accrocher, et c’est justement le McGuffin du film (le CD) qui, comme tous les McGuffin, vaut un tout petit peu plus qu’il en a l’air. Par lui transite une affaire sérieuse, le devenir du film d’espionnage aujourd’hui, après la redistribution des cartes post-guerre froide, le 11 septembre, la crise de la CIA. A quoi ressemble une affaire d’espionnage, aujourd’hui ? Des histoires de coucheries, au mieux. Parce que concernant le trafic des secrets, on a fermé boutique : à l’ambassade de Russie, où elle porte le CD dans l’espoir d’un gain, on accueille Linda tout au plus comme un coursier (« le CD, c’est Mac ou PC ? »), si on ne la prend pas pour une folle. A la CIA, le boss n’en croit pas ses oreilles : les Russes ? dans une affaire d’espionnage ? Il y a vingt ans il aurait bondi de son siège, mais là, ce qu’il demande à son adjoint, c’est simplement de faire disparaître les cadavres, et qu’on oublie cette pantalonnade. Bref, on n’est plus après qu’après, dans un post- qui ne signifie plus rien, pas d’enjeu, une paranoïa sans objet, sinon du côté des imbéciles heureux (ceux qui croient au complot). Cette déflation de tout est au cœur du film, à la fois ressort comique (sous l’espion présumé, cherchez plutôt un détective privé spécialisé dans les divorces) et rature monumental sur un passé glorieux. Après No country for old men, dont ce nouvel opus est plus proche qu’il y paraît, les Coen se sont trouvés un nouveau condiment : grandes peurs, absurdes causes – couple qui se décline à l’infini, du film d’effroi à la farce la plus légère, y gagnant toujours un supplément de transparence.