Contre-pied de l’image aseptisée dont souhaite se parer un Japon bien pensant, le cinéma de Shinya Tsukamoto transforme son pays et plus particulièrement sa capitale, Tokyo, en enfer urbain. Bullet ballet ne varie pas en ce sens des précédents opus du cinéaste (surtout Tetsuo et Tetsuo 2). Il s’inscrit dans la même lignée, ce qui constitue, avec les deux films cités, une œuvre cohérente des plus intéressantes.
Quoique assez réducteur, le terme de cyber-punk n’est pas erroné pour qualifier l’univers imaginé par Tsukamoto. Filmées en noir et blanc, ou en couleurs à dominante bleu et rouge pour Testuo 2, les villes apparaissent comme des labyrinthes aux voies métalliques, dont les intersections formeraient autant de no man’s land urbains propices aux confrontations belliqueuses. Les personnages (dont les habits ont valeur d’uniforme) évoluent au sein d’un espace-temps tout droit issu d’un jeu vidéo trash animé par une narration virtuelle au sein de laquelle les scènes font office de niveaux successifs conduisant vers le game over final. Pour tenter de comprendre le suicide de sa copine, Goda, un jeune cadre de 30 ans devient obsédé par l’idée de détenir un pistolet. Une fois le flingue trouvé, la dérive du héros s’amorce vers une violence sans fin jusqu’à se mêler à l’affrontement sans limite des gangs qui règnent dans les bas-fonds de Tokyo. Montage ultra-rapide, mouvements saccadés de la caméra, plans rapprochés sur un détail de l’action et irruptions soudaines d’une musique aux sonorités indus constituent la « grammaire » du réalisateur qui aspire à créer un cinéma capable d’être ressenti physiquement. Or, c’est précisément en jouant de la violence sur la même tonalité -l’hystérie permanente- que celle-ci devient parfois systématique (gros plan sur un visage en sueur puis plan sur un combat et vice versa) et lasse quelque peu. Heureusement, quelques moments de répit se greffent sur cette dynamique de l’action continue, et créent des apartés souvent très beaux. A l’image de la scène finale dans laquelle les trajectoires des deux héros finissent par se rejoindre par le biais d’un montage parallèle qui permet d’échapper au nihilisme un peu facile dans lequel Tsukamoto risquait de sombrer.