A priori, les raisons d’attendre beaucoup du premier long métrage de fiction d’Eliane de Latour se bousculaient : sa formation d’ethnologue et son expérience documentaire, la perspective d’un regard extérieur sur une Afrique urbaine peu explorée par les cinéastes du continent et enfin, l’investissement dans le projet d’Emmanuel Bourdieu, coscénariste d’Arnaud Desplechin sur Comment je me suis disputé (ma vie sexuelle) et Esther Kahn. Le sentiment de déception global que procure Bronx-Barbès n’en est que plus vif.
Si, d’un côté, le film traite son sujet -en deux mots : la rébellion et la quête d’identité d’une certaine jeunesse à travers la délinquance- en posant un regard documenté et pensé sur la société qu’il prétend étudier, ses carences cinématographiques et narratives se font rapidement trop apparentes. La réalisatrice ancre son récit dans une réalité sociale brutale qu’elle se refuse, dans un souci de globalisation, à localiser précisément : que les ghettos explorés soient de Côte-d’Ivoire ou d’ailleurs, semble-t-elle nous dire, peu importe, l’idée étant de s’interroger sur le devenir de l’Afrique face à une douleur précise, celle d’une criminalité de rues, culturellement influencée par une mythologie de bazar, politique ou fictive, d’origine extérieure, française ou américaine. D’où le titre du film qui correspond assez justement au contenu proposé dans la mesure où il renvoie au rêve d’une délinquance véhiculée et banalisée par le cinéma et la télévision. Les personnages de Bronx-Barbès s’appellent Nixon, Tyson, Tupac, Chirac, etc., et la réalisatrice prend bien soin de souligner la cohabitation de deux influences culturelles contradictoires : celle de la tradition et celle d’un Occident fantasmé sur laquelle s’appuient les aspirations des protagonistes Cet insolite métissage débouche sur une schizophrénie retranscrite avec intelligence dans une scène de funérailles plutôt réussie, et servie par l’expérience ethnologique d’Eliane de Latour.
Le film devient sensiblement plus gênant lorsque sur le pur terrain de la fiction sont abordées des figures féminines présentées sous une lumière consternante : bafouées, humiliées mais en définitive consentantes et séduites par la force et la violence, les femmes africaines apparaissent comme des réceptacles à plaisir sans individualité ni libre arbitre. Il fallait oser ce personnage de jeune fille violée qui, au lendemain du drame qu’elle a vécu, tombe dans les bras d’un de ses agresseurs parce qu’il ânonne un semblant de repentir. N’en ressort que plus brutalement, par contraste, la fascination douteuse exercée sur la réalisatrice par les corps masculins, érotisés à l’excès dans une suite de scènes complaisantes. Là, quelque chose sonne faux et nuit gravement au propos du film. Comme si tout cela, au bout du compte, n’était que prétexte à assouvir les bouffées de chaleur d’une femme blanche en Afrique noire. Le voyeurisme mesquin des passages incriminés pervertit le discours et le discrédite. Cette trivialité passe outre le rapport même d’un peuple à sa sexualité (sur le sujet, le très beau Visages de femmes de Désiré Ecaré témoigne d’un point de vue autrement plus honnête) et en offre une interprétation erronée voire fallacieuse, une perspective viciée qui remet en question les bonnes intentions prêtées à sa réalisatrice et achève de faire de Bronx-Barbès un spectacle déplaisant.