Si cette grande fresque historique entachée des quelques inévitables facilités qui caractérisent les grosses productions hollywoodiennes déçoit de la part d’un Tim Robbins qui nous avait habitués à plus de subtilité (Bob Roberts), les partis pris thématiques et de réalisation qui sont d’une remarquable cohérence font de Broadway 39e rue une œuvre pas franchement utile mais au moins bien ficelée.
Certes, le film baigne dans une euphorie un peu béate et s’appuie sur une collection de personnages archétypaux dont l’existence est purement fonctionnelle : le peintre qui se vend pour de l’argent, le comédien fauché qui refuse de se compromettre, l’homme riche passionné par l’art mais qui ne comprend rien à tout ce qui sort des canons de beauté conventionnels, le syndicaliste intransigeant, la Cosette de service, la vieille dame entretenue qui se met au service de l’art par jeu, l’arriviste revendiquée qui vend des tableaux pour financer la guerre de Mussolini, etc. Cependant, cette tonalité extasiée (voir la réalisation portée par d’incessants mouvements de caméra aériens) reprend simplement les codes de la comédie musicale dont le film raconte la genèse tourmentée en s’emparant de ses propres armes. Ainsi, les personnages de la pièce occupent la même fonction dans le film et passent presque indifféremment de l’un à l’autre. Les deux histoires avancent donc en parallèle, et les protagonistes trouvent leur place dans cet ensemble non pas par eux-mêmes mais au regard de la réunion des deux projets par le cinéaste. A partir de cette mise en abyme, Tim Robbins illustre dans une troisième dimension les faits et méfaits de la prostitution artistique sur fond de conflit social.
Dans les années 30, en pleine vague d’anticommunisme primaire et sur fond de récession économique, Orson Welles tente de monter une comédie musicale à caractère social grâce au concours financier d’une institution publique dont le rôle est de favoriser la création artistique et l’emploi dans ce secteur. Accusée d’être pro-communiste, son existence est menacée. En confrontant cet univers artistique défavorisé avec les frasques et compromissions d’autres lieux de création liés à la politique ou à l’argent, le cinéaste dénonce l’entrave à la liberté de création ou le détournement des œuvres, qu’ils soient causés par le manque d’argent ou par des contraintes que le pouvoir impose. Mais au sentiment d’euphorie socialo-artistique dégagé par la pièce (avec le triomphe des artistes au cœur pur), Tim Robins finit par opposer un dernier plan contemporain radicalement pessimiste. Parce qu’il a lui-même senti passer le vent du boulet hollywoodien ?