D’approche sympa et accessible, le cinéma de Johnnie To est un drôle de mélange entre excellence et légèreté. La balance penche parfois du premier côté (The Mission) et laisse alors entrevoir tout ce qui sépare le cinéaste d’un Tsui Hark par exemple, dont il serait la version « Chipster light ». Lorsqu’elle penche du second (Fulltime killer), To apparaît dans sa dimension la plus touchante : plaisir d’une virtuosité un peu toc, baroque ludique et coloré sans autre enjeu que la mise en place d’un grand parc d’attractions foraines. Dans sa folle productivité (impossible de répertorier tous les films qu’il a réalisés à la va vite), To demeure cependant bien au-dessus de la moyenne : en témoigne ce Breaking news, mille fois plus beau et élégant que l’archi-succès Infernal affairs quand les deux films jouent pourtant exactement sur le même terrain. Celui du divertissement grand public dans la grande tradition HK.
Ce qui rend Breaking news beaucoup moins jouissif que Fulltime killer ? Son côté The Mission probablement, cette façon, à mi-film, de se prendre pour ce qu’il n’est pas : un objet quasi-conceptuel où le récit laisse subitement place à de pures postures formelles. Au coeur de l’immeuble où toute l’action est confinée, le cinéaste se laisse aller à filmer ombres, perspectives et figures en un décorum aux limites de l’abstraction. Cet expressionnisme mêlé de maniérisme visuel très années 80 sidère parfois par son élégance, mais révèle aussi une sorte de chic dandy qui peine à masquer les limites d’un scénario très flottant. Le jeu d’aller-retour entre images de reportage télévisé et film d’action (tout est filmé en direct, super idée : on se croirait dans Loft story) en rajoute une couche dans cet aspect purement décoratif, et finalement assez creux.
Il y a chez To une tendance à faire du cinéma-témoin, comme on dirait d’un appartement, un refuge dans la pose qui dépasse constamment les événements du récit. Ainsi de ce long plan-séquence, au début, suivant un gunfight qui se voudrait anthologique. Les balles fusent, les vitres éclatent, mais les personnages se baladent dans le plan comme si tout était factice : transformés en immortels, Playmobils désincarnés, ils deviennent de simples vecteurs graphiques, sans une once d’humanité. Cette incapacité à dépasser une figuration limitée à ses potentialités les plus régressives (on « joue à », comme des gamins dans une cour de récré) enferme ce cinéma dans une sorte de stérilité parfois jouissive, souvent vaine. Reste à savourer quand même le style de To : esthète oui, mais léger comme une plume.