Un garçon caparaçonné, inquiet et courageux, se bat contre son destin. La famille de Waturu part en petits morceaux : le père quitte la maison et la mère en tombe gravement malade. Le héros, initié par un mystérieux copain d’école à l’allure androgyno-dark (Mitsuru), découvre le monde magique de Vision où l’on peut rencontrer, à force d’épreuves, la déesse de la Destinée et réaliser ses vœux : rassembler ses parents.
Pour entrer dans Brave story, il faut d’abord se coltiner une imagerie fantasy rebutante, accepter d’être ballotté par un scénario dont les incohérences semblent relever du montage aléatoire de scènes coupées ou tronquées. Passée cette épreuve, disons que l’emballement de ce mastodonte protéiforme (et relativement lourd) réussit à prendre. La vitesse finit par l’emporter sur l’incohérence et, comme dans toute architecture baroque, l’éclectisme le plus composite recèle des perles précieuses. On navigue entre le décor gothique et les bestioles à la Miyazaki et parfois quelque chose d’inédit et de saisissant prend forme dans le dessin, comme ce déferlement de démons sur la ville, la pluie de pétales d’un cerisier géant, ou l’émergence instantanée d’un mur de glace autour du héros damné. Floculations ou inversement concrétions et agglutinements soudains rythment les belles inventions spectaculaires de Brave story. Les pluies noires ou roses, l’arbre magique aux allures de champignon atomique, les figements brusques des corps et des ombres rappellent que le spectre d’Hiroshima n’est jamais bien loin.
Car la catastrophe familiale affrontée par tous les enfants (Waturu, Mitsuru, Meena la créature aux oreilles de chat ou la petite princesse russe Zofie) prend l’ampleur d’une catastrophe universelle. Le même mouvement guidait l’initiation de la garçonne cascadeuse dans La Traversée du temps, en prise elle aussi avec le fantasme de revenir en arrière. Ces deux mangas qui nous parviennent à un an d’intervalle se ressemblent par la maturité et le sérieux de leurs trajectoires métaphysiques qui ouvrent le cercle familial à de plus vastes questions. Peut-on changer le cours des choses? Tout le film cherche à ouvrir grand les yeux devant l’irréparable. Sur les pas de Gen (Gen d’Hiroshima), c’est, derrière une apparente naïveté, l’apprentissage de cette lucidité sans compromis que raconte Brave story.