Pour adapter ce fait divers tragique, la cinéaste a choisi de coller à l’histoire et aux lieux en adoptant la forme d’un récit linéaire qui broie ses personnages dans une sorte de fatalité sociale et affective implacable. Parvenu à son paroxysme, ce dispositif imprime physiquement sur le corps de Teena Brandon/Brandon Teena, une adolescente qui se déguise en homme pour pouvoir séduire des filles de son âge, les stigmates mortels d’une culture à l’état embryonnaire et dont l’expression reste encore primaire.
Au fin fond d’un Texas au conservatisme exacerbé, la vie s’organise autour de l’usine et des bars, point final. L’aspect hermétique de cet espace, personne n’entre ni ne sort et rien ne circule au travers, pèse fatalement sur les mentalités locales. L’horizon (une échappatoire possible) disparaît dans un clair-obscur à la luminosité déclinante ; un ailleurs parfois évoqué s’inscrit dans une virtualité inaccessible au travers de plans fixes et nocturnes, dans lesquels l’accélération du temps réduit sa matérialisation à des motifs abstraits. Mais cette autarcie sécurisante présente des contreparties moins réjouissantes : un ennui qui suinte la morosité et mène droit à la dépression, une uniformisation de la pensée sur la base d’une morale fruste et immuable dont la transgression, quelle que soit l’intention qui la motive (en l’occurrence l’amour), peut engendrer une peur panique incontrôlable.
Le couple sublime formé par Hilary Swank (Teena Brandon) et Chloë Sevigny (Lana) subit en lui-même les reflets tragiques de ce carcan psychologique. Teena Brandon tente de se composer un corps d’homme pour mieux assumer (soigner ?) une homosexualité perçue comme maladie, tandis que sa partenaire, même face à l’évidence (leurs ébats amoureux passionnels) s’obstine à voir en Teena un homme. Des détours mensongers guidés par la nécessité de nier l’introduction d’un élément étranger et inconnu dans cet univers enroulé sur lui-même. La morphologie de Teena, entre homme et femme (son corps reste d’une grande féminité malgré l’artifice d’une apparence masculine), effraie. La dernière partie du film, peut-être la plus belle, se consacre à l’autopsie de ce corps que l’entourage de Teena tente d’abord de circonscrire, puis, face au désarroi qu’il provoque, le violente dans le but de le réduire à quelque chose de plus connu et donc de rassurant. Mais le plus troublant (effrayant ?) reste encore la quasi-incapacité des amoureux à s’imaginer hors de cet endroit et libérés de la pensée locale, eux-mêmes pris entre leurs sentiments et leur morale inconsciemment formatée.