L’histoire : Aix-en-Provence, un galeriste en galère, Christian Lespinglet, sauve de la noyade le SDF Boudu, le ramène chez lui. Le clochard s’installe contre la volonté du maître des lieux, coincé entre sa femme dépressive et alcoolique et son assistante, qu’il poursuit de ses ardeurs polissonnes. Boudu est une tempête libertaire qui s’abat sur la maisonnée de bourgeois, slogante le récit.
Deux choses, sur cette adaptation de la pièce de René Fauchois, dont Renoir tira le film que l’on sait (Boudu sauvé des eaux, 1932, avec Michel Simon). Sur Depardieu d’abord, qui, Boudu, nous la joue énorme. Elle est acquise, bien assise, la légende actuelle de l’acteur : phoenix ventriloque dont les morts et les résurrections alimentent les grandes chaudières de la télévision et du cinéma français. Mort de l’acteur en des films de petites factures, en des téléfilms à grosses factures ; résurrection ensuite, comme chez Téchiné récemment (le très beau Les Temps qui changent) où, de fait, il est grand. En Boudu ? Boudu, c’est Depardieu lui-même qui vient dans votre salon, péter sur votre canapé. Dans le film de Jugnot circule une idée de la maison comme espace disponible aux vrombissements des monstres sacrés, de l’inconnu majuscule qu’on n’imaginait pas capable d’être aussi proche de son public. Métaphoriquement, l’idée de la maison comme espace construit autour de la télé, d’où peuvent sortir, si on y croit fort, des vedettes. Participer un peu à l’idée que l’on se fait de l’enregistrement des émissions télés, des tournages genre Jugnot / Depardieu, quand on suppose » qu’ils ont dû s’amuser à faire ça, qu’il doit être impressionnant, Gérard, sur un plateau « . Ouvrir sa porte à l’étranger, c’est faire entrer les ennuis, certes, mais c’est aussi, quand il s’agit de Depardieu, l’intuition qu’il faut changer la nappe pour recevoir le prince. Et Depardieu, souverain dans cet intérieur, vous laisse toujours le choix : (Boudu rote) / Christian : « c’est élégant, ça ! » / Boudu : « t’aurais préféré que je pète ? ».
Sur Jugnot, ensuite. On apprenait il y a peu qu’il fut l’acteur le mieux payé en France l’an dernier. 5,5 millions d’euros, quelque chose comme ça. Cette semaine, il fait la couverture de Télérama, son portrait par les studios Harcourt surplombant la question qui tue : « populaire, ça veut dire quoi ? » Question un peu provoc’ -peut-on être richissime et populaire ?-, mais ce n’est important, ce n’est pas là le vrai problème de la popularité. « Populaire, ça veut dire quoi ? » On peut tenter une réponse. Etre populaire, c’est avoir une Idée du peuple et, quand on est cinéaste, en donner une expression en termes de cinéma. Les Straub sont les cinéastes les plus populaires de France. Bien peu peuvent revendiquer ce titre, Guédiguian ou Richet peut-être, mais dans une bien moindre mesure. On objectera que Jugnot en un film fait plus d’entrées que tous les straub-films réunis, ce qui est vrai. Mais il n’a pas d’Idée du peuple pour autant. Tout au plus une Idée de la maison. Non, chez Jugnot (Une Epoque formidable, Monsieur Batignolles, Les Choristes, etc.) transpire plutôt une idée que l’on se fait du peuple (qui ça « on » ? -l’époque), et qui se plaque sur son visage, sa bonne bouille, ses bonnes joues. Bon petit peuple de France, qui s’agite et soupire et lève les bras quand tout va mal, Jugnot l’incarne, en reçoit l’image, en capte la fréquence. Il n’a rien demandé, rien fait pour ça, ça lui colle à la peau. Christian l’épinglé, c’est lui. Aucune Idée ne descend de lui, c’est le brouhaha d’une rumeur voulant définir ce qu’est le peuple qui lui monte aux narines, comme la moutarde. Bonne bouille, bonnes joues, Villeret aussi pouvait incarner ça, mais lui avait quelque idée de la manière dont renvoyer cette image (que Jugnot absorbe, comme du buvard) au public. Qu’il ait aussi tourné avec des grands cinéastes (Godard, Rozier…) n’est pas un hasard. Jugnot, lui, n’est pas simplement popu, il est populé. Au sens intransitif du terme. Ce qui est peu, ce qui est rien.