Un écrivain en galère fait croire à sa sex friend qu’il est devenu l’assistant d’un célèbre romancier, dont il est censé dactylographier le prochain roman. Pour donner le change, il écrit chaque jour une page de manuscrit, inspirée de sa première grande histoire d’amour, avortée tragiquement quelques années plus tôt.
Fallait-il en rajouter ? Oui, visiblement : les amants originels sont tombés amoureux lors d’un cours à la fac sur La Recherche du temps perdu. Armé de sa comparaison, obsessive et compartimentée, entre l’exercice littéraire et l’entretien d’un bonsaï (entre le naturel et l’artificiel), le film adopte la même ramification, complexe et tortueuse, que l’arbre nain. De fait, rien n’est laissé au hasard. On ne saurait compter les (trop) nombreuses références (tuteurs) qui drainent le film de Jiménez : émules rohmériennes pour ses personnages hantés par des choix amoureux cornéliens, Kaürismaki pour l’apathie de ses personnages, et finalement Proust pour cette recherche d’un temps perdu via montage en jump-cuts entre mémoire et présent. Avec ses principes doctoraux sur la conception artistique, entre vécu personnel et invention (mensonge dans le cas du personnage), avec son récit lourd de sens, l’apathie inutile de certaines scènes, et la patine HD de ses images, le film arbore fièrement un snobisme de lettré technophile, à la page des nouveaux canons esthétiques imposés par le 5D.
Heureusement, on échappe de peu au calvaire. Après avoir laborieusement planté son intro-postulat, Jiménez sait, à temps, abandonner son théorème pour de simples respirations. Via son quotidien amoureux bancal, par le biais de quelques scènes de maladresses romantiques ou d’ébats entre les deux amants, toutes éparpillées aléatoirement entre passé et présent, le film par moment trouve un souffle inattendu. Secoué par ces trivialités déconnectées du discours réflexif général, le bonsaï de Jiménez respire enfin. Entre soap arty et élégie du plan cul (très belles scènes d’intimité entre le héros et sa maîtresse), Bonsái nous rappelle alors au bon souvenir d’Hong Sang-soo, bien meilleur guide que ses références précédentes. Comme chez le coréen, la gaucherie sentimentale de ses héros, bien plus incarnée que leurs idées, souligne une parenté entre le film et ses personnages : tous semblent d’abord prisonniers de leur propre intellect. Heureuse conclusion que de constater un certain avantage du cinéma sur la littérature, pour donner chair, sensibilité (et même jouissance chez Jiménez) à ces êtres trop abstraits. Sous ses airs de pensum, Bonsái sauve heureusement l’essentiel.