Quid du renouveau du cinéma argentin, amorcé il y a deux ans ? Porté aux nues avec Historias minimas, Carlos Sorin n’est pas le plus doué de cette Nouvelle Vague dont il ne fait d’ailleurs pas vraiment partie (son premier film date de 1986) bien que son cinéma, fait d’emprunts hollywoodiens et d’esthétique world bien sentis (un Walter Salles ne lui arrive pas à la cheville), mérite le coup d’oeil. Bombon el perro suit cette droite lignée, force tranquille à la petite semaine, un peu farceur ici, souvent métaphorique là, qui ne rassasie pas, mais ne frustre pas non plus. Sorin n’a pas du se fouler, et c’est tant mieux. Son film laisse entrevoir tout du long un envol plus spectaculaire, une vague tension, une étrangeté, mais à la manière des grands paresseux magnifiques, garde ce potentiel sous-jacent. Maîtrise discrète ou confiance totale en son sujet, sûrement un peu des deux.
Epurée, l’intrigue relève du néo-réalisme le plus pur, qu’un De Sica n’aurait sans doute pas renié. Juan, pompiste quinqua au chômage tente une reconversion en éleveur de chien, après qu’une vieille dame lui offre un superbe dogue argentin. Coaché par un professionnel du dimanche un poil retors, le bonhomme sillonne les concours du pays, se prend à rêver, stresse aux moindres défaillance de la bête. Il gagne aussi, une troisième place, quelques biftons et le film transforme la fable sociale en Forrest Gump de la Pampa. En plus fauché bien sûr, mais tout aussi généreux dans la sublimation des petits riens de la vie, très romantique (de gare) sur la misère sans jamais l’édulcorer complètement.
Une ambivalence qui revient autant à l’interprète – gardien de parking dans le civil – au jeu cafouillant et au regard ébahi (angélisme si parfait qu’on croit déceler dans ses yeux un grain de sadisme et de haine dès l’ouverture), qu’au cinéaste, dont le traitement anti-Dardennien brouille l’empathie du personnage. Le film le tient en laisse par un affect paternaliste un peu pompier, anticipe tout pour lui : amour naissant, rencontres, avaries canines, le tout enturbanné de beaux plans composés avant de se dérégler subitement pour parfois, tendus à l’extrême, lui courir derrière. Distorsion du temps qui confère à certaines scènes un impact inouï, sublimant là tous les attributs du néo-réalisme à l’ancienne : angoisse réelle de Juan face au dogue menaçant au cours d’une scène tournée en plan séquence, où il se fait mordre par son chien. Et surtout, suspens formidable du concours canin, presque un mini-film à lui seul, en décalage complet avec le reste, où la fébrilité du docu-fiction donne à l’intrigue une formidable carnation.