Curieusement, s’ils ont bien entendu très largement marqué le cinéma, des quatre grands assassinés des sixties américaines -les frères Kennedy, Martin Luther King et Malcom X-, seul le dernier a eu les « honneurs », si l’on veut, d’un biopic en bonne et due forme (à l’exception d’une brève série télé dans les années 80 sur JFK). Bobby n’en est pas un, seulement une évocation, d’ailleurs Bob Kennedy est absent du film : pas d’acteur pour l’incarner, seulement une silhouette. A la place, des images d’archives qui viennent ça et là ponctuer le film. A la place, le récit imaginaire de la journée du 5 juin 1968 dans le grand hôtel Ambassador de Los Angeles, où, après avoir annoncé sa victoire aux élections primaires de Californie, le sénateur allait trouver la mort, succombant sous les balles de Sirhan Sirhan.
Comme film d’époque, Bobby donne un peu à sentir l’atmosphère d’un temps bien révolu où l’on savait faire un discours, et formuler ce que l’exercice de la politique dans et hors de la sphère du pouvoir pouvait ouvrir comme perspectives : les quatre assassinés étaient des maîtres en la matière. Mais cela, Bobby le fait par le truchement des archives : ce choix pourrait sembler adroit, s’il n’agissait comme le cache-misère d’un film empâté, sorte de sitcom d’arrière-cuisine d’un ennui mortel. Tous les poncifs du film choral (franchement, on n’en peut plus du film choral) sont mobilisés ici, et Emilio Estevez tente de faire prendre le tout avec une épaisse sauce qui dégouline de partout : toutes construites de la même manière, les séquences ne sont que dialogues banals échangés par des personnages clichés, et ponctués par un gnangnan et sentencieux monologue tapissé de musique idoine.
Après un quart d’heure de cette cuisine, le verdict est net, et restera inchangé jusqu’aux dernières minutes du film, où la scène de l’assassinat amène tout à coup un semblant de vie : Bobby, c’est du mauvais Altman dernière période (celle de Gosford park, Company ou The Last show), elle-même guère fringante, c’est dire. En ce genre de cas on a envie de s’en remettre aux acteurs, mais Bobby réunit un tel casting super poids lourds -Sharon Stone, Anthony Hopkins, Laurence Fishburne, Demi Moore, William Macy, Christian Slater, Helen Hunt, Ashton Kushter, Heather Graham, Martin Sheen, Harry Belafonte, Elijah Wood, Lindsay Lohan, etc.- que l’on frise très vite l’indigestion de visages connus, comme si la distribution n’était faite que de caméos. On retiendra toutefois de ce trombinoscope sans âme la brillante prestation de Joshua Jackson.