C’est peu dire qu’on sort de ce tunnel d’ennui un peu consterné. On sait bien ce qui depuis toujours semble attirer Olivier Assayas : la vitesse, les filles battantes, le SM ; cet espèce d’évanouissement du monde et des distances qui vous fait passer, en un clic, d’un point à l’autre du globe et vous retrouver en Asie, plaque tournante du world business dématérialisé ; le Clean d’images stroboscopiques et de rais de lumière qui viennent heurter les miroirs sans tain de l’hyper modernité. La série B pourrait, devrait être l’écrin idéal où poser le shaker du post-quelque chose. Boarding gate est une série B, du moins il est pensé comme telle. Petit budget, tournage rapide. Intrigue prétexte à inventer une vitesse et des trajectoires dans un cadre que l’on se choisit.
Prétexte, l’intrigue (grossière et que l’ont sent venir à des kilomètres) l’est au minimum : Sandra (Asia Argento), retrouve son ancien amant Miles (Michael Madsen), un businessman déchu pour le compte duquel elle faisait l’escort girl, et avec qui elle entretenait une relation plus ou moins SM. En parallèle on découvre qu’elle est impliquée dans des histoires louches. Meurtres, coups de théâtre, manipulations, etc. Bref, on s’en fout. Comme Assayas lui-même s’en fout. Ne l’intéresse que l’exercice de style – pourquoi pas ? Une bonne série B, c’est un récit (peu importe lequel, et peu importe qu’il soit profond ou pas), un récit bien envoyé dans une forme où il peut générer un fourmillement d’idées qui, les jours de fête, s’agrègent en style. Mais dans Boarding gate, le style, déjà cuit et recuit, précède le récit. On commence à bien le connaître : une caméra qui bouge et file le long des plans, passe par-dessus les collures du montage, bref ne tient jamais en place. Style vain, qui veut imiter (et jamais dialoguer ou se cogner contre) l’agitation moderne du monde. Autrement dit, une pure tautologie, qui sert le plus souvent (ou peine à servir) de cache-misère à l’inanité des récits ou du propos, surtout quand celui-ci se veut grandiloquent à mort (cf. l’impayable Demonlover).
Ici, dans ce New Rose Hotel du pauvre, Assayas se prend les pieds dans le tapis de cette dialectique entre style et récit. Pariant sur la forme pour sublimer un scénario écrit sur un bout de table, il se retrouve à la vitesse du vent face à ses énormes limites. En témoigne le pseudo morceau de bravoure du film, un chiantissime huis clos entre Argento et Madsen. La caméra s’excite pour exprimer-le-désordre-du-monde, va du frigo au balcon, du sac à main au verre de whisky, d’Argento à Madsen. Filme une vitre ou deux, pour le côté Michael Mann – transparence et vitrification des échanges contemporains. Mais, comme d’habitude, ne laisse deviner que son insondable impuissance. Du coup, mécanique de la série B oblige, la pauvreté des dialogues ridiculement explicites remonte violemment à la surface du vide laissé par l’image. Ce que la mise en scène est incapable de dire, Assayas charge les dialogues de l’exprimer – énorme aveu d’échec de la part d’un film qui, idéalement, devrait faire le contraire. Et comme ces dialogues ne sont qu’un panier d’inepties et de clichés qui s’acharnent à nous intéresser à l’histoire, la scène tourne à la séance de torture. Il eut fallu être vif, passer à travers ces chevilles narratives comme la caméra voudrait passer à travers les lieux qu’elle arpente. Mais puisque la mise en scène ne peut rien, Assayas semble tout à coup paniquer et se met à insister ad nauseam sur elles, par défaut.
Et puisque le film, ayant épuisé ses cartouches vides, feint tout à coup de s’intéresser au récit, il n’est pas étonnant que, quelques scènes plus tard, on se prenne à repérer des détails qui tuent – mauvais signe. Pour les fans qui iraient malgré tout voir le film : expliquez-nous la nécessité dramaturgique qui pousse Sandra, prisonnière d’hommes de main à Hong Kong, à ne pas s’échapper en douce de sa geôle alors qu’une issue est accessible (on le découvrira après), mais à se livrer à une grotesque mise en scène, et à s’enfuir seulement après, prenant ainsi un risque fou et inutile. Parce que c’est une série B, et qu’on s’en fout ? Allons, allons, non : dans une bonne série B, on ne s’occupe peut-être pas de « sujets » ou de la profondeur métaphysique du récit, mais des détails, de la dramaturgie, de sa cohérence et de son efficacité, si. La signification, les enjeux théoriques, thématiques ou autres, tout cela suit, coule de source. Dans Boarding gate, pas du tout – le film marche sur la tête.
Sauvons tout de même une scène. Argento est précipitamment envoyée à Hong Kong après avoir commis un meurtre. Elle doit disparaître là-bas (se dissoudre dans une mégapole, le vieux cliché, enfin bref). Plutôt que de la montrer en Europe puis, cut, en Asie, Assayas prend le temps de filmer le trajet : un avion, une correspondance, puis un autre avion, puis un coup d’oeil par le hublot sur l’aveuglant soleil trônant par-dessus les nuages, puis le plateau petit-déjeuner qui vous réveille des mauvais sommeils de classe éco. Puis l’arrivée, sortir de l’aéroport, prendre un taxi, être ailleurs. La restitution de cette sensation vaseuse et soulagée que l’on éprouve après avoir traversé voûte céleste et fuseaux horaires à la vitesse d’un boeing, est assez bellement rendue. Poignée de plans, quelques minutes – pas mal. Le reste, peanuts.