Le dimanche 30 janvier 1972, à Derry, ville d’Irlande du Nord sinistrée par le chômage et les tensions entre l’IRA et les autorités britanniques, une marche pacifique était organisée pour l’égalité des droits civiques entre protestants et catholiques. Le gouvernement britannique, échaudé par les nombreux attentats commis par l’IRA, venait de décréter toute manifestation illégale. Tandis que la foule défilait, une minorité violente se détacha, provoquant par jets de pierre les « paras » britanniques envoyés en renforts. Ces derniers tirèrent sans sommation ni discernement : treize manifestants -dont plusieurs étaient encore des lycéens- moururent ce jour-là sous les balles anglaises.
Ce qui reste dans les mémoires comme le « Bloody Sunday » est une plaie encore ouverte dans l’histoire irlandaise, et une tache indélébile sur la conscience de l’Etat britannique. « Tirer sur le peuple » a toujours été le tourment et la grande question des nations déchirées par des mouvements contraires. L’Angleterre, qui a longtemps gardé une conception monarchique de l’ordre, n’a pas encore clarifié l’attitude de ses gouvernements successifs dans le conflit irlandais, et n’a jamais inquiété les responsables du « Bloody Sunday ». Trente ans plus tard et contre toute évidence, les abus n’ont toujours pas été admis ni les meurtres reconnus comme tels.
La monstruosité de ce carnage tragique et arbitraire perpétré par une bande de soudards incontrôlables, relève d’une violence archaïque, presque anachronique. Le film de Paul Greengrass s’offre à l’analyse comme un reportage classique, mis en scène avec autant de foi que de virulence, mais s’en tient à un effet de réel quelque peu stérile. C’est le « on s’y croirait » du Soldat Ryan, tout l’énergie est concentrée sur la réalité de l’événement. Dommage que l’invention n’apporte pas, comme elle le devrait, un surcroît de vérité. Est-ce vraiment le rôle d’un cinéaste de fixer sur la pellicule une saisie télévisuelle, de faire « rejouer » un drame moins passionnant dans son déroulement que dans son résultat symbolique ? Le spectateur n’a ici aucune latitude pour lui donner un sens moderne, à l’heure où tant de conflits analogues envahissent l’actualité…