Portrait d’un violent, Blood and bones cache sous la prestation monstrueuse de Takeshi Kitano un portrait blessé des relations entre Japonais et Coréens. Histoire d’un immigré : à Osaka, au début des années 1920, débarque un Coréen, Kim Shun-pei, appelé à régner par les poings sur la petite communauté de ses compatriotes, diaspora silencieuse éparpillée dans une poignée de ruelles. Se devine, en filigrane, un nerf purement historique à l’odyssée d’un exilé : les douloureux mouvements de population entre le Japon impérialiste et son voisin coréen, peuple de Corée humiliée par le puissant archipel, qui va trouver dans la brutalité de Kim à la fois un écho de ses propres frustrations, mais aussi une force de coercition supplémentaire, venue de son propre ventre.
L’essentiel toutefois n’est pas là. En tirant le portrait de Kim, Yoichi Sai trace l’image graphique d’un tissu d’énergies malades et démantibulées. Kim, on vous le dit, est une brute épaisse, qui cogne, matraque, viole, insulte, vocifère, bastonne encore. Quiconque se dresse sur son chemin reçoit raclée, correction au gourdin qu’il porte toujours à la ceinture. Femme et enfants n’y échappe pas. Il impose sa loi musculeuse, obligeant sa femme à voir depuis sa fenêtre le baisodrome que Kim s’est loué juste en face, et où il ordonne d’un rugissement à sa maîtresse d’écarter les cuisses. Blood and bones procède par de minutieuses descriptions de combats. Bastons mémorables, filmées live (nul trucage ou doublage sonore : ça cogne pour de bon), qui laisse découvrir sous la silhouette brinquebalante de Kitano une force pure, effrayante. Qu’il machouille une bidoche grouillante d’asticot, viole sa femme, batte ses enfants, croque une tasse en porcelaine, tue un cochon, saisisse des braises à pleines mains, Kim (et Kitano) n’existe que par la leur force physique, pure puissance dégénérée qui rompt tout pacte social à grands coups de poings. La force du film est de tenir sur la distance -longue- cet entêtement à ne rien céder de l’espace de l’action, à ne suivre que la ligne heurtée des bagarres, si bien qu’on en sort un peu écrasé, un peu K.O. devant le spectacle d’un corps qui s’exprime sans retenue, obsédé par sa survie, comportement animal qui est la version souterraine d’un mélodrame sur les malheurs d’un costaud. Non que l’on ait envie de sauver ou d’excuser cette raclure de Kim, mais la folie qui s’empare de lui contamine la maison, la rue, le pays, le film, jusqu’à composer une sorte d’opéra malade, une danse brute et de brute.