Ce n’est qu’à moitié une surprise : ces Nouveaux Héros (Big Hero 6 en VO) affirment sans peine l’émergence progressive d’un nouveau Disney. Secret de polichinelle, John Lasseter est désormais aux affaires ; avec lui une assise artistique évidente promet de renouveler les tintements du tiroir-caisse. Soit le miracle recommencé de Pixar, quelque peu à la traîne de son côté, quand la firme de Burbank a su dans le même temps pratiquer une tout aussi juteuse OPA sur le catalogue Marvel. Obligé un temps de s’acclimater, en particulier pour faire plaisir aux petites filles, Lasseter aura permis de rebooter quelques princesses malgré un cahier des charges plutôt pesant, mais n’en reste pas moins un petit garçon toujours désireux de renouveler son coffre à jouet. Et le voici sans doute plus à l’aise pour dérider l’imaginaire Disney à grand renfort de rêveries geek assumées.
Big Hero 6 est donc le premier né de cet alliage fructueux entre Pixar et Marvel, dont l’équilibre procède d’un miracle constant. Car s’il faut bien parler d’alliage, c’est dans la mesure où le film s’emploie d’abord à magnifier sa permanente hybridation. Son décor en premier lieu, mélange San Francisco et Tokyo avec un réel bonheur, carrefour futuriste dont l’art de la synthèse n’est pas sans rappeler les boutures audacieuses d’un Speed Racer. Auquel il ne cesse d’ailleurs de faire penser, semblable garnement plutôt que scrupuleux élève.
Hiro est un jeune garçon versé dans l’ingénierie, aussi génial sinon plus que son grand frère. Afin de pouvoir entrer comme lui dans la prestigieuse académie qui offre ses labos aux créateurs en herbe pour ne cesser d’inventer le monde, il met au point un système de microrobots capables de s’agréger en n’importe quelles formes, comme autant de pixels. Cette instabilité formelle permanente révèle bien sûr en Hiro un double de ses créateurs, un semblable démiurge placé devant la même série d’algorithmes capables de tout, du meilleur comme du pire. C’est tout l’enjeu émotionnel ici : au moment stratégique du passage à l’adolescence, le voici bientôt frappé par un deuil. Son frère meurt dans l’explosion qui suit sa présentation, lui laissant en héritage sa propre création. Il s’agit de Baymax, un robot-soignant dont la raison d’être est d’assurer le bien-être de son possesseur. Concentré de technologies sous une enveloppe gonflable qui le fait ressembler à un marshmallow, cette nouvelle incarnation du care comme éthique d’émancipation s’impose d’abord comme doudou protecteur avant d’être peu à peu envisagé comme arme de destruction massive. Avec lui le film articule notre émotion, efficace adjuvant autant qu’objet transitionnel, oreiller providentiel où venir étouffer son deuil en même temps que machine à le faire travailler.
Si le deuil est récurrent chez Disney, il était jusqu’alors trop rapidement évacué au profit de la suite. Il devient ici le moteur de toute l’aventure, à ce point qu’il fait régulièrement retour entre les gags. C’est donc surtout de son très beau mélange des genres que Big Hero 6 tire sa force, funambule ivre de vitesse et perpétuellement sur la crête, entre mélodrame familial et potacherie adolescente. Plutôt que d’établir trop rapidement la nécessité de grandir pour faire face aux tristes aléas de l’existence, Big Hero 6 prolonge au contraire cet état d’enfance que le deuil n’infirme en rien. D’une chambre bardée de jouets high-tech à son prolongement au dehors vu comme une gigantesque cour de récréation, le film n’oublie pas que l’enfance n’est jamais seulement faite de bonbons et de bobos. Car malgré l’univers Haribo largement repris ici du film des Wachowski, et surtout malgré les égratignures que Baymax a d’abord en charge de soigner, l’enfance y est aussi vue comme l’inépuisable réservoir d’une colère irréfléchie. Ramenées aux dimensions d’une ville, ses bagarres de récré se changent en véritable guerre, avec la nécessité de venger un frère, victime collatérale d’une machination elle-même mue par la vengeance.
C’est là que le choix de Baymax concentre tout l’intérêt du film : son apparence lisse, son expression limitée à deux yeux figurés par deux points noirs reliés d’un trait, offrent la surface idéale d’une projection, le lieu d’un effet Koulechov permanent. Ce qui permet dès lors toutes les ambigüités à l’image, pour faire de chaque action entreprise un jeu délirant autant qu’une épreuve de la dernière chance. Big Hero 6 distribue ainsi les coups et les câlins avec une égale générosité, tant les rebondissements qui articulent le scénario sont d’abord à prendre au pied de la lettre dans la personne de Baymax, dont chaque chute est l’opportunité d’un nouvel élan, possiblement joyeux ou dramatique. C’est ce suspense-là qui fait tout le prix du film. Sa manière de ménager sans cesse une suspension malgré ses allures de flipper en surchauffe, d’installer un moment de contemplation cotonneuse ou d’inquiétude lancinante avant de replonger dans son vortex. Or c’est bien ce qu’on attend d’un dessin-animé, surtout s’il s’adresse aux enfants : qu’il n’oublie pas à quel point il est facile pour eux de passer du rire aux larmes.