Ancien flic, le détective Simon Brenner gagne désormais sa vie en retrouvant de mauvais payeurs. Lancé ces temps-ci sur la trace d’une New Beetle jaune, il sillonne la cambrousse autrichienne et atterrit dans un restaurant réputé pour son poulet frit à la Viennoise : le Löschenkohl. Une bonne adresse qui va s’avérer un lieu de perdition où tout n’est qu’intrigues, meurtres et cannibalisme. Le cinéma autrichien a ceci de pratique pour l’observateur que, drames, thrillers et comédies, de Ulrich Seidl à Michael Haneke, passent tous par le même goulot d’étranglement esthétique. Au sens moral du terme s’entend. La chair y est triste, les personnages sont traités en cloportes (les uns comme parasites, les autres comme bestioles à torturer), pendant que le dispositif nous camisole dans des cadres « monstrueux », toujours en quête d’une laideur en toute chose. Bienvenue à Cadavres-les-Bains aura beau se retrancher derrière l’argumentaire de l’humour noir, façon Alex de la Iglesia du Danube, il passe par le même entonnoir crado que les autres. Et permet de situer Wolfgang Murnberger dans la petite galaxie austro-cinématograhique : à la gauche d’Ulrich Seidl (Import / export), genre petit cousin goguenard et un peu beauf.
On a l’air d’exagérer de monter un procès à charge contre cet innocent petit film de genre, mais que voulez-vous sauver d’une production qui dès ses premiers plans s’applique à respecter à la lettre cette « politique de l’Autriche » ? Imaginez une succession d’images blafardes, en gros plans, d’une machine à broyer les os, de ses lames qui coupent, découpent, concassent les carcasses de poulet en une pâtée brunâtre. Avec les gargouillis de rigueur. Ce n’est pas tant l’effet de révulsion qui pose problème ici (on en a vu d’autres), que la note d’intention qu’il sous-tend ; et qui va se confirmer de scène en scène. Cette machine est la parfaite métaphore de ce cinéma du sanibroyage qui passe ses héros à la moulinette, les égruge, les balaie, avant de les foutre au rebus. Il faut voir comment le moindre lieu ici paraît inhospitalier, comment Murnberger refuse à ses personnages – tous plus ou moins moches ou détestables – le moindre refuge, même lorsque le scénario leur ménage un semblant d’intimité. Et Simon Brenner est comme la synthèse de tout ça. Le cinéaste promène sa gueule de croque-mort dans tous les plans, lui fait bouffer de l’humain à son insu (une scène jamais révoltante, amusante ou répugnante, juste complaisante), et le surprend dans son seul moment de plaisir en flagrant délit d’éjaculation précoce. Non, à Cadavre-les-Bains tout est glauque, tordu, inhabitable, et signale, même si le principal intéressé le nierait en bloc, une vision du monde qui confine à la misanthropie (l’horizon terminal de tout ce cinéma autrichien). Ce qui, même si l’on évacue nos considérations morales pour s’en tenir au strict cadre de l’efficacité cinématographique, se révèle parfaitement contre-productif : difficile de compatir ou de trembler pour des punchings-balls humiliés. C’est la viande qu’on attendrit en tapant dessus, pas l’humain.