Nouveau chapitre au dossier, plutôt épais cette année, du jeune cinéma français, et vraie bonne surprise. Surprise parce que ce regain d’inspiration (après La Vie au ranch le mois dernier) s’exprime depuis un terrain où le JCF semblait coincé, irrécupérable. Soit : la chronique de l’adolescence, passion du JCF devenue son tombeau à mesure que les films s’entassaient dans une impasse qu’on ne connaît que trop – naturalisme blafard, forme molasse maquillée en délicatesse, portraits tautologiquement fades d’une jeunesse fragile et blanchâtre sommée par des scénarios interchangeables de s’éveiller alternativement au sexe ou à la natation synchronisée. Surprise, donc, parce que l’impasse semblait dans la formule, et qu’a priori cette formule est intacte dans Belle épine. Jusque dans un scénario de deuil qui, jusqu’au bout, menace de le faire replonger dans le marécage des gisants du JCF (et il s’y trempe un peu finalement, on y revient) : Prudence Friedman a dix-sept ans, sa mère vient de mourir et le deuil ne se fait pas, refoulé par Prudence qui sèche les cours, erre dans l’appartement familial désert, fauche dans les grands magasins puis s’encanaille chez les blousons noirs, enfourche avec eux les bécanes qu’ils font rugir, le soir, à Rungis.
Qu’il s’enfonce dans la nuit des courses de moto clandestines, à Rungis au carrefour des années 80, est un premier indice de ce qui l’occupe, loin de ses colocataires du JCF. L’imagerie des blousons noirs (les loulous à bécanes évoquent le méconnu Les Coeurs verts d’Edouard Luntz) s’invite dans le film en l’espèce d’une fascination qui frôle le fétichisme sans jamais s’y abandonner tout à fait. D’ailleurs ce spectre-là, celui du fétichisme, de la caution vintage et sexy, plane lui aussi, c’est une autre menace – nappés d’une B.O. synthétique lorgnant du côté des scores de Goblin pour Argento, certains plans semblent littéralement tirés à partir des rushes de Passe ton bac d’abord ou Loulou. Mais avec ces repères le film entretient un rapport flottant qui a moins à voir avec un maniérisme qu’avec une forme de hantise : ils le traversent simplement, nourrissent une brume qui par ailleurs est un peu la modalité générale. Le pari de la rencontre avec les motards de Rungis est gagné d’emblée, quand pour la première fois Prudence s’aventure aux abords du circuit : tandis qu’elle se tient cachée derrière un mur, le ballet des motos qu’elle espionne est résumé à un brouillard de couleurs et de sons, fantasme vaporeux où le film, y compris dans les autres décors, restera englouti.
Sur les rails usés de la chronique adolescente à la française, Belle épine avance hagard, laissant se tisser entre les scènes une humeur, une forme de sensualité revêche et lourde, plutôt qu’un programme de scénario – et d’ailleurs il n’avance pas tant que ça, le scénario, préférant ressasser à plat sa mélancolie sèche. Dans un tel cadre, Léa Seydoux se révèle, il faut le dire, parfaite, et nettement plus à l’aise que dans les costumes de poupées qu’on lui a fait chausser jusqu’ici. Le film tire un profit indéniable de son visage buté, et de ce regard fiévreux qui donne toujours plus ou moins l’impression qu’elle se remet tout juste d’une grippe carabinée. Dommage seulement, on le disait, qu’une ultime séquence un peu contradictoire fasse éclater, en le rendant explicite, le scénario de hantise. Jusqu’à cette séquence nettement dispensable (et encore, Zlotowski s’en tire bien, la scène n’est pas nulle), Belle épine est un premier film tout ce qu’il y a de plus recommandable.