Bella ciao fait mal au coeur à plus d’un titre. D’abord, parce qu’il faut attendre le générique de fin pour entendre la magnifique chanson homonyme, chant de lutte transalpin antifasciste né dans les rizières de la plaine du Pô. Ensuite, parce qu’il est toujours douloureux d’être consterné par un film que l’on aurait souhaité aimer, une œuvre retraçant sur plus d’un demi-siècle (de 1931 à nos jours) l’édifiant destin d’une famille d’immigrés italiens échouée dans la bonne ville de Marseille. Le même postulat avait donné naissance au moins bon film de Robert Guédiguian (Rouge midi), alors ici… De raccourcis historiques en ellipses ramassées, de tableaux caricaturaux en séquences « brooksiennes » (pas Richard, Mel), Stéphane Giusti nous perd totalement, et engloutit tout son propos et toute sa sincérité dans des kitscheries de Prisunic : vieillissement pathétique des acteurs, à base de postiches et de cheveux gris, apparition mémorable d’Isabelle Carré en statue de La Liberté (!), cabotinage insupportable et insipide de Serge Hazanavicius dans la peau d’un ancien militant communiste devenu cadre en chemise brune…
Les incohérences narratives et les ratages de la mise en scène viennent confirmer avec fracas l’incapacité de Stéphane Giusti à lier la grande et la petite histoire, à raconter l’une au travers de l’autre, et vice versa. Guédiguian avait sauvé son film en restant cantonné à l’intime ; Giusti n’a pas cette sagesse, et Bella ciao s’en ressent durement. Il est d’ailleurs assez révélateur de voir que les connotations historiques du réalisateur cessent avec l’épuration, comme si, une fois la Seconde Guerre mondiale terminée, l’Histoire s’arrêtait. Celle-ci semble alors n’avoir intéressé le réalisateur qu’en tant que catalyseur dramatique des événements, et non en tant que telle. Rien à sauver donc de ce ratage, qui n’épargne même pas ces excellents comédiens que sont -d’habitude- Jalil Lespert et Jacques Gamblin.