Infatigable globetrotteur, Thomas Balmes est un cinéaste tourné vers l’autre. Attentif aux modes de vie et de pensée des sociétés contemporaines, il a choisi avec Bébés de se tourner vers l’enfance en faisant le portrait croisé de quatre nouveau-nés dispersés aux quatre coins du monde. Et si le sujet n’a a priori pas de quoi révolutionner le documentaire, le film réussit à éveiller la curiosité et à titiller les consciences. Pourtant, avec une approche esthétisante de l’enfance type produit publicitaire dont l’affiche se faisait déjà l’écho, le pari n’était pas gagné d’avance. Et force est de constater que le sentimentalisme qui se dégage des premiers plans traduit bien la facilité du procédé. Bras tendus, bouches en cÏur, petits pieds agités et mouvements non synchronisés, quatre enfants s’éveillent à la vie devant la caméra posée d’un cinéaste visiblement empreint d’ethnologie « rouchienne ». Et devant les gazouillis et les maladresses des chérubins, difficile de retenir l’onomatopée attendrissante du « oooooooh », suivie du fameux « c’est mignon ». Une réaction émotionnelle inéluctable qui engendre un autre problme : le film est certes empli d’humanité, mais quel enjeu à la clef ?
Avec un choix narratif judicieux et un montage attentif, Balmes sauve le film par son discours sous-jacent. S’affranchissant de la voix-off, il ne s’enferme pas dans une imbuvable tentative d’ethnographie descriptive, mais fait entrer une forme de dialogue interculturel où viennent se rencontrer, par la finesse du découpage, quatre enfants, quatre endroits du monde, quatre éveils à la vie. Et si les images sont léchées à souhait et ponctuées d’incessants jeux de cadrage, qui traduisent la volonté du réalisateur de jouer sur l’insolite pour mettre en scène un quotidien d’ordinaire plus enclin à l’anodin, le film offre malgré tout d’autres perspectives. Connectées les unes aux autres, les séquences se répondent et donnent naissance à de jolies associations d’idées, de gestes et d’intentions. Discrtement et sans jugement, Thomas Balmes murmure un discours sur le monde contemporain et ses problématiques. Chaque séquence devient alors une idée, un constat, et la part belle d’un discours un peu plus épais que ce qu’il y parait. Mondialisation, malnutrition, inégalité des chances, problèmes d’hygiène, pauvreté, surprotection occidentale, le cinéaste projette une série d’images subliminales qu’il appartient à chacun d’interpréter. Une fois la barrire de la facilité esthétique enjambée, Bébés gambade ainsi vers quelque chose d’un peu plus dense que ce que sa petite coquille marketing laissait redouter.