Be bad ! répond à l’injonction de son titre, avec à l’esprit une vérité peu traitée par les teen movies jusqu’à présent. Rarement le premier de la classe y accède à sa possible révolte, surtout lorsqu’elle a pour cible une situation sociale défavorisée. En règle générale, des études réussies sont sa porte de sortie assurée, de sorte qu’il lui faut jouer le jeu en attendant mieux. Au mieux, il sera génial et incompris, ne saura pas se battre mais super bien danser, se fera piquer par une araignée radioactive, ou jouera très bien (en cachette) du violoncelle. Au pire, il se fera défoncer la gueule et laissera le statut de héros au voyou pure race dont le cœur saigne. Rien de cela ici.
Nick Twisp (Michael Cera), est amoureux d’une fille qui lui ressemble, cultivée, comme lui au ban de sa famille, un couple d’intégristes tarés. Francophile (et cinéphile, par conséquent) elle veut aller à Paris, il fera tout pour l’y accompagner. Le moins que l’on puisse dire, c’est que le film ne cherche pas vraiment du côté de la France contemporaine l’alibi culturel de sa révolte adolescente : Serge Gainsbourg et Jacques Dutronc via Couleur café et Les Cactus côté musique, Belmondo-Poiccard dans A Bout de souffle, soit l’image d’Epinal de la Nouvelle Vague, côté ciné. Côté fringues, Cera s’invente un alter ego appelé François qui lui sert de Mister Hyde pour conquérir le coeur de sa belle, habillé comme pour aller au Flore, avec petites moustaches viriles revenue des années 60 (revoir Adieu Philippine, de Jacques Rozier, l’un des plus beaux films d’ado français) : bref, le total look Saint-Germain des Prés. On voit là que les références à ce qui reste d’une image de la jeunesse française doivent remonter assez loin. On ne saurait en faire grief au film : c’est mérité. Quand bien même les signes de francité élus ici seraient l’objet d’une admiration sincère, le film prend alors une couleur assez ironique et notre cinéma une belle leçon, tant l’écart s’est creusé depuis entre une France d’abord nostalgique de son enfance et une adolescence définitivement américaine. Ici le chien s’appellera donc Albert (« comme Albeurt Camusse »), et le lycée français où étudie la belle sera un refuge de snobs hyper classes (un peu comme si Noah Braumbach avait vu les films de Christophe Honoré). Peu de place, comme toujours, est laissée aux adultes : Be bad ! fait de la révolte de son héros une évidente libération face à une parentalité très largement défaillante, mais vite mise hors d’état de nuire grâce à des champignons hallucinogènes.
Dans sa première performance en solo, Cera est phénoménal : il joue sur l’effet Koulechov que provoque son visage si lisse et comme gravé dans un marbre éternellement juvénile. L’innocence, la maturité, la perversité, la virilité butée, tout peut se lire successivement sur ce visage, à la faveur des situations et de ce qu’il fait passer dans ses seuls yeux. Les maladresses de son personnage sont chaque fois conjuguées à une réelle intelligence des enjeux, une manière d’apprendre toujours un peu plus vite qui le fait avancer en dépit de catastrophes chaque fois plus grandes. En cela, il rejoint les grands burlesques qui dérèglent la machine sociale avec l’air de ne jamais y toucher, comme si leurs corps refusaient innocemment de se rendre aux convenances (ici incarnées tour à tour par un flic ultra-beauf, un couple de républicains cathos, une surveillante d’internat). Au reste, Nick Twisp ne répugne jamais à tirer sur un joint ou à manger un champi, car il ne saurait refuser de quoi dérégler son corps : lequel marche ainsi tout seul, laissant Twisp spectateur de ce que peut ce corps livré à lui-même. Très souvent en caleçon, comme s’il était chez lui, Twisp reste sur son quant-à-soi tout au long du film, opposant une vraie résistance à tout, jusqu’au désir le plus cher de sa belle (il s’arrange pour la faire virer du lycée qui l’éloigne de lui).
Une telle leçon vaut bien exemple : il serait dommage de faire la fine bouche devant tant de bonne volonté à dire qu’en toute jeunesse, même et surtout celle qui pense, une révolte est nécessaire. Mais hélas, nos deux tourtereaux, in fine, auront bien tort de rejoindre la France. Au reste, c’est cependant bien elle qui gagnerait à filmer un peu plus, ou un peu mieux, ses ados.