C’est peu dire qu’on s’ennuie ferme devant ce long pensum caméra au poing de Nick Broomfield, censé nous livrer la fidèle reconstitution de ce qu’on a appelé le massacre d’Haditha, où des marines américains, dont le convoi avait été pris pour cible dans un attentat, ont tué 24 civiles irakiens, hommes, femmes et enfants en guise de représailles. Un carton nous l’annonce d’ailleurs dès le début et tout l’enjeu est de découvrir comment tout cela a bien pu arriver. Du moins est-ce l’ambition du film, qui embrasse tous les points de vue : marines américains, civils irakiens, terroristes novices, membres d’Al Qaïda et staff du commandement US. Embrasser tous les points de vue, c’est à dire au fond n’en choisir aucun, sinon celui de la seule démonstration. Il y a un fantasme journalistique à l’œuvre dans le film qui l’empêche sans cesse d’atteindre au cinéma et le fait davantage ressembler à un article du Monde Diplomatique.
D’abord cette idée que pour être « objectif » (l’objectivité étant le fantasme journalistique par excellence), rendre compte le plus scrupuleusement de l’incident, il faut en quelque sorte donner du temps de parole à chacun. Comme si le hors champ et la capacité d’abstraction du spectateur étaient choses impossibles. En l’état, tout nous est mâché, montré, dans la plus pure logique du film à thèse et sa cohorte de dialogues explicatifs. Et comme dans tout film à thèse, les personnages ne sont souvent que de simples porte-voix des idées du réalisateur (particulièrement les dialogues des deux apprentis terroristes). Thèse irréprochable bien sûr, qu’on serait bien en peine de critiquer (encore que dans le film chacun est dédouané de ses responsabilités, à l’exception des figures du pouvoir que sont Al Qaïda et le commandement américain, ce qui est discutable), et dans laquelle Broomfield se drape, anéantissant toute critique et toute ambiguïté, s’inscrivant au fond dans la lignée d’un Pontecorvo, mais sans le relatif talent cinématographique de celui-ci : il est frappant de voir combien les scènes de combat par exemple sont dépourvues du sens de l’espace, chaque plan étant simplement là pour servir la démonstration.
Le hasard veut qu’on ait vu quelques temps avant Redacted de Brian De Palma (voir Chronic’art #42, en kiosques), dont le pitch est très proche. Film à thèse là aussi, mais qui n’est bien entendu jamais celle qu’on attend et qui, au moyen d’images censées ne pas s’originer dans la vision du cinéaste, livre un terrifiant portrait de notre époque, questionnant la notion d’information et ce qu’on en fait aussi finement que Broomfield est lourd en cherchant seulement à accumuler les preuves.