Classé dans la catégorie des films « jeune public », Bashir, de Ahmad Ramezanzadeh, aura peut-être du mal à séduire les enfants en raison du travail formel et idéologique effectué par le cinéaste. Si l’histoire privilégie volontiers une certaine naïveté -l’initiation d’un petit garçon à la pratique du tenbûr, un instrument traditionnel kurde-, elle rend surtout compte de problèmes plus graves. Par le biais du tenbûr, le film évoque en effet la situation dramatique des minorités kurdes dispersées dans plusieurs pays qui tentent de nier leur existence. Une scène anodine souligne cette hostilité : un marchand de musique invente de faux prétextes pour ne pas vendre des cordes de tenbûr à Bashir. L’allusion est claire : les kurdes et leurs traditions sont indésirables. Le réalisateur utilise alors une arme, peut-être la plus efficace à long terme contre ce type de rejet, celle de la poésie, et en particulier celle de la musique traditionnelle de ce peuple d’éternels étrangers. Le projet de Ramezanzadeh -la culture comme moyen de rapprocher les hommes- n’est donc pas si ingénu. Dommage pourtant que la forme du film ne soit pas à la hauteur de cette idée.
Bashir semble ainsi souffrir des conditions économiques précaires liées à sa réalisation. Il s’en dégage une forte impression d’amateurisme qui l’apparente parfois au bricolage d’un travail de fin d’étude. Les acteurs jouent faux chaque fois qu’ils ouvrent la bouche, et la synchronisation approximative des sons illustre la faiblesse technique du film. Malgré tout, il serait injuste de ne considérer que ces défauts sans prêter attention à la qualité des images. Sur ce point, Ramezanzadeh fait preuve d’un talent qui ne demande qu’à s’épanouir -s’il obtient des budgets plus conséquents. De très beaux plans, comme ceux figurant les jeux de clair-obscur entre le soleil de la plage et l’ombre de la paillote du musicien, rappellent combien les cinéastes iraniens pensent le médium en terme d’images pures (Kiarostami et Jallili en tête). De plus, le montage s’avère souvent audacieux, naviguant entre ellipses, rêves et réalité ; d’où la difficulté qu’éprouveront les plus jeunes spectateurs à suivre l’action.
Relatant le quotidien d’un petit garçon et sa rencontre avec la musique kurde, Bashir travaille donc deux niveaux de lecture : le simple récit d’apprentissage et la fable politique. Au final, ses carences techniques lui confèrent un certain charme et peut-être même une certaine valeur. Il est toujours réjouissant d’apprendre que, quelque part dans le monde, des « hommes à la caméra » continuent d’enregistrer en toute simplicité la vie, et défient, de ce fait, les grosses structures de production. Souhaitons donc que des films comme Bashir ne deviennent pas à l’avenir des miracles d’existence.