C’est ballot : selon un récent sondage Opinionway pour Campingaz, Dany Boon et Omar Sy arrivent en tête des personnalités avec qui les Français rêvent de partager un barbecue. Tant pis pour TF1 et Studiocanal, qui ont misé leur cubi de rosé sur Dubosc, Foresti et Wilson. Mauvaise pioche ? Pas tellement, au fond. Parce que la vision d’Eric Lavaine (« j’ai voulu faire un film plus personnel« ) n’est pas celle de Boon. On le voit rien qu’au menu – côte de boeuf-frites noyées dans le Pétrus, siouplaît. Pas l’ombre d’une merguez : Barbecue n’est pas un film festif. Ici, on se fout pas mal de rafistoler une France fracturée. Exit le zouk et le maroilles en guise de liants sociaux. L’horizon, c’est plutôt celui de Sautet, mais concentré sur un seul profil sociologique : quarantaine finissante, amitiés Sup de Co, dettes, infarctus. Narrateur malicieux, Wilson présente cette clique en confiant d’entrée au public : « le problème, c’est que je me faisais terriblement chier« . Très vite, à voir ces gueules-là (Dubosc spongieux, Foresti en surrégime) venues cachetonner distraitement, on voit vers quoi file Barbecue : le portrait d’une France qui s’emmerde, par un cinéma français qui s’emmerde.
En termes de crédibilité, c’est plutôt opérant. Foresti en rombière footeuse divorcée d’un Dubosc las et oisif, Wilson en vieux beau et Jérôme Commandeur en copain mécano, pour les quotas : pas besoin de performances à Césars pour qu’on y croie. Le hic, c’est l’hypocrisie du tableau, discernable de bout en bout. Cadre bon teint et athlétique, Antoine (Wilson) vire hédoniste suite à une crise cardiaque : puisque la vie est courte, autant en profiter un max. Ses vacances sont l’occasion d’observer l’ennui de ses copains de promo d’un air détaché, sorte d’Usbek contemplatif bien décidé à en finir avec le stress. Get 27, cul, petit joint, que du bonheur. À travers Antoine, le film s’imagine poser un regard tendre et lucide sur le détour de la cinquantaine, lancé dans une apologie du lâché-prise. S’oppose à lui le personnage plutôt savoureux de Guillaume de Tonquédec : un Ned Flanders franchouillard, intarissable quant au choix optimal des pneus pluie sur route de campagne. En se fâchant avec lui, Antoine tente de sortir ses amis de leur torpeur bourgeoise.
Devant un tel schéma, on voit défiler les modèles évidents : Sautet donc, mais aussi Philippe Harrel sur le GR20 (Les Randonneurs) ou même Canet au Cap Ferret (Les Petits mouchoirs). Mais c’est précisément devant cette comparaison qu’éclate le cynisme de Barbecue, et du popu contemporain en général. Là où Sautet tente d’observer ces petites bandes sur un mode romanesque, entomologique, pour en tirer des constats universels, Lavaine donne dans le ciblage marketing. Barbecue n’est pas un film sur les quadras, mais un film pour les quadras. En faisant mine de railler les sempiternels clichés liés à la classe moyenne supérieure, le film se complait dans une reconstitution en toc faite pour appâter le petit bourgeois. Le miroir qu’on lui tend aurait inspiré des chapitres entiers à Roland Barthes : mythologie de la San-Pé, topologie du GPS et de la cuisson bleue, le tout laissant le goût d’une fin d’agapes sous le cagnard en plein dimanche après-midi, rots sourds et remontées vineuses. Pourquoi, au fond, filmer autre chose que des caricatures boulevardières ? On entend d’ici la défense de Lavaine : on est dans un film populaire, mais aussi ré-a-liste ! Tout comme Antoine le bienheureux, Barbecue « ne triche pas ». Mais, loin de se servir satiriquement des clichés, l’axe TF1/Studiocanal les change en attraction narcissique, invitant son public-cible (le C++ de 50 ans, pour aller vite) à se reconnaître comme au jeu des sept erreurs.
Le plus triste, c’est que ce même chantage au réalisme permet au film, insidieusement, de revenir à la norme après son éloge fumeux de l’hédonisme. Comme on ne plaque pas la vie active impunément, et que la contemplation zen va bien deux secondes (« au bout de trois minutes, on s’emmerde », avoue Antoine au sommet d’une colline), notre héros sera sommé de renoncer à sa philosophie rock n’roll. Autour d’un poulet ruisselant, un procès s’organise pour juger le vilain jouisseur. Conclusion : c’est compliqué, d’être simple ! Laissez-nous être chiants ! Et Wilson d’aller à Canossa, devant une plâtrée de moules. Si encore cette victoire de la morale bourgeoise avait quelque chose d’idéologique, on pourrait reconnaître à Barbecue un engagement, un petit fumet réac, donc une âme. Mais il ne faut pas s’y tromper. Si nos héros reviennent dans les clous, c’est par seul souci de ne pas brusquer un public supposé se reconnaître dans ce portrait flemmard, et y trouver un reflet aimable. C’est connu : par temps de crise, mieux vaut toujours niveler par le mou.