« Taille fine, hanches larges, gros nez » : voilà comment se décrit Marina Abramovic. On pourrait également dire de cette belle femme de cinquante ans que c’est l’une des plus éminentes représentantes du body art, courant radical de l’art contemporain. Pour mieux situer son travail, il faudrait par exemple évoquer Rhythm’O (1974), performance durant laquelle Abramovic soumit son corps à son public durant six heures, avec lacérations et attouchements à la clé. Attiré par ce personnage de l’extrême, Pierre Coulibeuf lui a consacré un film. Ni fiction, ni documentaire, Balkan baroque est un portrait éclaté, voyageant entre vécu reconstitué, mises en scène fantasmatiques et actions live.
Marina Abramovic est ici en représentation permanente. Plus que l’artiste, elle incarne l’actrice, convoquant les indices et les figures de son passé (son enfance en Yougoslavie, son ex-partenaire Ulay) en les réagençant sous le regard directif du cinéaste. Ainsi, pour mieux illustrer ses fragments existentiels, Abramovic se déguise en Abramovic communiste ou en star Abramovic, introduisant une distance à la fois théâtrale et protectrice entre la caméra et son moi profond. C’est finalement lors de ses performances que l’artiste se livre davantage. Troublant le flux chronologique de son étrange biographie filmée, Abramovic reprend sans filet quelques-unes de ses actions les plus violentes. Exemples marquants : Marina maniant dangereusement un couteau de cuisine (qui finira par la blesser) ou Marina se brossant les cheveux en un crescendo éprouvant, répétant ad libitum « You must be beautiful ». Gestes fous et visage gonflé par la douleur. A travers ces expériences-limites sobrement captées par Coulibeuf (caméra fixe, corps de l’artiste sur fond blanc) émerge une sorte de puissance pulsionnelle, pulsion traquant les limites physiques et gravant sur la peau les tourments intérieurs avec tout ce que cela comporte d’enjeux intimes et politiques. Là, Marina cesse de jouer, et nous de respirer, happés par l’intensité de l’artiste et de la femme enfin confondues.