Que les fans de l’écrivain Virginie Despentes se réjouissent, car ils seront comblés, voire très surpris par la Virginie Despentes cinéaste. Coréalisé avec la hardeuse Coralie Trinh Thi, l’adaptation au cinéma du premier roman de la jeune auteur parvient à retranscrire sur l’écran la saveur iconoclaste du livre, ainsi que la sève argotique et chaotique de la prose qui le composait.
Au vu du film, ce qui demeurait jusqu’ici une hypothèse s’impose avec la limpidité d’une évidence : seule Virginie Despentes pouvait prendre en charge la mise en images de son livre. Après avoir vainement cherché un réalisateur, c’est une acolyte que l’écrivain a trouvé en la personne de Coralie Trinh Thi. Car Baise-moi, le film, est avant tout une histoire de filles. Une histoire un peu particulière, issue de la collision logique entre deux univers destinés à se rejoindre… d’où la présence de Raffaëla Anderson et Karen Bach, les deux actrices principales, débauchées du hard par les cinéastes. Les rumeurs « hot » qui grondaient autour du film depuis sa présentation à Cannes étaient donc fondées et le sous-titre de l’affiche, « Version dure », justifié. Cependant, au-delà de tout débat d’arrière-garde, auquel la commission de censure du CNC a d’ailleurs coupé court en gardant le film intact, assorti seulement d’une interdiction aux moins de 16 ans, c’est la rigueur du style affirmé des deux réalisatrices qui fait ici le plus sensation. Si comme le disait très justement Yann Gonzalez (de Chronic’art) dans son article cannois consacré à Baise-moi, celui-ci ose se confronter aux images dites « impures » de la pornographie et s’affranchir de la frilosité ambiante du cinéma français, il n’empêche qu’il s’agit d’un vrai film d’auteur, et non d’une vague curiosité pour amateurs et voyeurs en tous genres.
Pour leur premier long métrage, Virginie Despentes et Coralie Trinh Thi refusent l’adaptation bienséante et racontent littéralement l’histoire de Manu et Nadine, deux filles paumées un peu dingues, qui un jour prennent le maquis et tuent tout ce qui bouge (avec un net penchant tout de même pour les êtres dotés d’une quéquette entre les jambes). La force des plans (et souvent leur beauté qui prouve une nouvelle fois que la DV bien utilisée peut prétendre un jour égaler celle de la pellicule) et surtout un sens aigu du cadre, de la place des corps au sein de celui-ci, transcendent le traditionnel road movie. Ce genre, tellement cinégénique, devient entre les mains des réalisatrices une embardée directe dans le paysage conformiste des images attendues et déjà faites (à mille lieues de son lointain cousin Thelma et Louise). Cet affranchissement des lignes de conduite obligées, érigées d’après on ne sait plus quel code moral, n’est pas là pour faire sensation (et l’on sent bien que Virginie Despentes a plus subi que provoqué la hype autour de son livre) mais comme une sorte de garant de l’authenticité d’une oeuvre dont le jusqu’au-boutisme fonde l’intégrité.