Dernière variation en date du film de baby sitter, Baby-sitter malgré lui n’a au final rien d’autre à offrir que l’argument dramaturgique éculé que son titre promet. Au menu donc, l’habituelle nuit de folie, les enfants sociopathes et le garde-chiourme légèrement égoïste et franchement dépassé qui finira par se révéler comme le grand frère que tout le monde attendait. Ce programme minimal constitue le seul horizon d’un film en pilotage automatique qui se regarde aisément les yeux fermés. Tout au plus peut-on l’écouter, en laissant aux oreilles le soin de repérer le maigre feu comique qui le nourrit, c’est à dire, essentiellement ici, les variations argotiques que s’échangent des personnages en mal d’amitié nouvelle. Pour le reste, Jonah Hill, qui interprète le baby-sitter en question, n’a jamais paru aussi figé dans son emploi de jeune cool embarrassé du quintal de junk food qu’il a fini par dégobiller pour trotter gaiement dans 21 Jump street.
Où situer alors l’accroche marketing qui justifierait de pitcher le film devant les pontes d’un Studio ? Probablement dans le croisement opéré entre les gamineries de Chris Colombus et le Scorsese d’After hours, comme si le film voulait injecter dans le slapstick en couches quelques kilotonnes de vulgarité inquiète. Mais c’est dans cet équilibre artificiel entre comique bon enfant et grossièreté acide que se joue précisément le mécanisme désagréable de son horlogerie. En donnant le sentiment de vouloir racheter l’un par l’autre, le film n’aboutit qu’à l’annulation des deux effets : jamais assez odieux pour assumer la méchanceté qu’il voudrait secrètement atteindre, il rabat la bienveillance à laquelle il se range au simple statut de convention narrative. Ne reste alors qu’un mélange de cynisme et de paresse qui défie toute ambition esthétique ou narrative.
Ce pourrait donc être un simple produit d’exploitation sans âme s’il n’était signé de David Gordon Green, auteur, avec George Washington, son premier long-métrage, d’un des plus beaux précipités d’Americana qu’on ait pu vu voir sur les écrans. Après trois autres films dont le très beau L’Autre rive, le jeune cinéaste a souhaité donner dans le registre comique sous la houlette de Judd Apatow, virage possiblement salutaire s’il ne témoignait que d’une ambition d’échapper aux carcans auteuristes. Mais, si les qualités stupéfiantes de l’auteur passaient encore à travers quelques belles scènes de logorrhées amicales dans Pineapple express, ne reste aujourd’hui de sa première période qu’une expertise négociée sur le marché des transferts : habileté dans la direction d’acteur et attention aux dialogues doivent probablement figurer sur son cv de mercenaire. Pour le reste, il n’est qu’à comparer son regard sur les Noirs américains entre son premier et son dernier film pour constater à quel point son travail de portraitiste délicat, sensible aux murmures dramatiques, s’est nécrosé en un sarcasme grimaçant et vide. On ne sait si David Gordon Green a des pensions alimentaires à payer ou l’ambition de truffer une villa hollywoodienne de jacuzzis à bulles, mais on est certain d’assister là à un crash hollywoodien de premier ordre, à peu près aussi magistral que son cinéma est devenu étriqué et sinistre. On ne peut alors que lui souhaiter d’échouer encore, d’échouer plus et d’échouer mieux, pour retrouver le visage qu’il a volontairement défiguré.