Lidia Bobrova, remarquée avec Dans ce pays-là, est une drôle de cinéaste, ni trop en dehors ni trop en dedans d’un système qui, ces dernières années, a offert un nombre incalculable de films vieillots ou très académiques. Baboussia confirme l’ambiguïté de la réalisatrice, une sorte de non-lieu étrange dans le cinéma russe contemporain. Sa faiblesse : se situer entre folklore et critique sociale un peu facile et complaisante. Sa force : se révéler capable, à chaque instant, d’enchanter ou de désenchanter la fiction par une singulière utilisation des ressources kusturikiennes, entre description terrienne et brusques envols de féerie. Quelques jeux de couleurs, un mouvement de caméra, deux pas de danse : la formule est simple et connue. Mais lorsqu’elle s’emballe, la machine-Bobrova s’élève vers des altitudes de ravissement insoupçonnées.
Baboussia, 80 ans, a donné toute sa vie aux siens. A la mort de sa fille, elle part en quête d’un refuge auprès de ses parents proches. Mais ses petits-fils, devenus nouveau riches grâce à elle, lui refusent un à un leur maison. De ce postulat simpliste, la cinéaste tire le bon et le moins bon. Le bon : toute la première moitié du film, durant laquelle Baboussia trouve refuge chez une vieille amie affublée d’un fils ivrogne et simplet. La description de la campagne russe, si elle ne s’accompagnait d’une mise en parallèle un peu balourde avec les événements de la proche Tchétchénie, est admirable de simplicité et de tendresse. Les figures se répètent inlassablement (de longs et lents travellings latéraux qui s’animent à partir de micro-événements) et témoignent d’une attention minutieuse au cadre, à la communauté et aux corps en mouvement qui le peuplent. Plus joliment encore, Bobrova enchevêtre différents régimes d’images, du souvenir au pur fantasme, sans recourir au moindre artifice plastique. Seul le montage permet de mesurer le degré de réalité de telle ou telle séquence, et d’en recueillir les effets les plus insidieux (la larme qui coule sur la joue de Baboussia lors de la séquence du théâtre).
Moins forte est la deuxième moitié du film, succession de rencontres avortées avec les petits-fils de Baboussia. Systématique, longuette, complaisante, cette partie plombe le film et se départit de la belle sécheresse du début. Le mouvement sacrificiel de sanctification de l’héroïne s’accompagne de commentaires didactiques et surligne la portée un peu démagogique du film (les Nouveaux Russes, c’est pas bien). Moins fort que Dans ce pays-là, Baboussia n’en comporte pas moins son lot de trouées bohèmes, pouilleuses et musiciennes qui font la force incertaine du cinéma de Bobrova.