Après l’horrible 21 grammes, Babel est le nouveau navet du fils spirituel world de Claude Lelouch. Il s’en trouvera ici et là pour hurler au chef-d’oeuvre. Ils ont bien le droit, évidemment, mais ils devraient au moins rembourser au reste de la population les cachets d’aspirine qu’il faut gober en masse pour calmer le mal au crâne qu’inévitablement on subit à la vision de cette interminable croûte. Mal au crâne, ne pas se méprendre : Babel est insignifiant, parfaitement dispensable, mais bruyant, bruyant ! Il fait tellement de bruit, pour cacher son ineptie, sa grande misère : vroum vroum fait la voiture, bang bang le pistolet, boum boum la musique techno. Et brrrrrrr, fait le concept, hyper-radical : deux gosses marocains canardent un bus avec un fusil offert à un voisin par un Japonais père d’une fille sourde et muette, et une balle atteint une touriste américaine, dont les enfants sont emmenés par leur nounou à un mariage au Mexique. C’est l’histoire. Mais le film raconte surtout comment le monde est compliqué et qu’il y a plein de langues, et que c’est pas facile de se comprendre, et que ça serait rudement mieux si tout le monde se comprenait, mais en même temps ça veut pas dire que tout le monde doit parler la même langue, parce que sinon il n’y aurait plus de différence, et que la différence c’est peut-être aussi une richesse, alors c’est plutôt à chacun de faire un effort pour comprendre les autres, mais toujours est-il que, ah la la, on n’arrive pas à s’entendre sur cette foutue Terre qui est bien belle malgré tout, et que ça, vraiment, à bien y réfléchir, c’est carrément dommage, mais bon, c’est la vie. Du world-lelouchisme, on vous dit. Et encore.
L’argent n’a pas d’odeur mais ce film-là pue le fric. Une star internationale (Brad Pitt) vient jouer les artistes chez un cinéaste qui joue l’artiste world (genre, on s’intéresse à tout le monde) et dont l’imposture flagrante (Prix de la mise en scène à Cannes 2006, on en rigole encore) séduit par-delà la raison ses admirateurs en mal de sensations fortes. C’est le secret d’Iñarritu, les sensations fortes, remplir du vide par du rien : il faut voir, c’est ahurissant, comme ici le réalisateur n’a strictement rien à dire (filmer une barbapapa en aurait dit davantage sur l’état du monde), et comme son cinéma est inutile. Comptez les plans : un sur dix sert à faire avancer la pauvre histoire. Otez les clips (pas beaux, sans intérêt, comme celui du mariage mexicain : qui saura nous expliquer à quoi il sert ?), le reste, c’est du Flanby, des scènes filmées sans idées et parfaitement tautologiques : un hélicoptère vole, une voiture roule, une sourde-muette n’entend pas ni ne parle, un ange passe. Pourtant, Iñarritu cherche à chaque image l’exploit, l’intensité maximale. Même muette, même insignifiante, chaque image a un couteau sous la gorge, elle doit vrombir. Il a beau faire un plan truqué compliqué pour montrer un type sur un balcon, ça reste un type sur un balcon. Tentation totale de la part d’un metteur en scène qui s’est auto-déclaré génial, et qui ne montre que son incroyable impuissance. Il ne se passe rien, dans Babel, il n’arrive rien, rien n’arrive à l’image, juste ça : hasards et coïncidences. Pour un film qui voudrait n’être que dans le pur événement, ça pose problème. Iñarritu, cinéaste lourdinguissime, sans style sinon une boursouflure creuse, ne donne même pas dans le pensum, il n’y parvient même pas, il soigne simplement sa rémunératrice image de starlette d’un cinéma d’auteur de standing, de prestige, donc le pire de tous. Si ça plait, tant mieux pour lui, qu’importe.