Attention film d’auteur. Le duo grolandais Benoît Delépine et Gustave Kerven, ego enflé par le succès surprise d’Aaltra, pousse plus loin son désir de cinéma. Cette fois, c’est sûr, le délire est archi-sérieux, il dérange à mort. Delépine qui se tord le nez avec du scotch, voilà enfin du cinoche expérimental de barge. Une langue triturée en gros plan par une mongolienne, waouh, subversif le film. Avida est défini par ses auteurs comme une « comédie métaphysique ». Mouais. On peut tout aussi bien dire qu’il s’agit d’une merde surréaliste qui fait ploc. Pourquoi tant de haine ? C’est ça ou la pitié. Certes, Kerven et Delépine ont bien le droit d’essayer, voire de s’autoproclamer francs-tireurs officiels du cinéma français. Après tout, pourquoi ne seraient-ils pas surréalistes ? Peut-être parce qu’ils prouvent à chaque instant le contraire. Quelle liberté, quelle subversion peut-on accorder à Avida, qui s’applique laborieusement à citer Dali, Buñuel et Tati comme un neuneu reproduirait La Joconde au stabilo ? Absolument aucune.
Ce désastre est aussi celui d’une génération de plus si jeunes cinéastes français (Kassovitz le producteur, Dupontel ici en guest) dont l’envie de bouleverser la donne est constamment grippée par une mise en perspective aussi maladroite qu’arrogante. D’après eux, il suffit d’ouvrir les vannes du cinéma, d’assembler les genres et les époques pour former une grande guirlande libertaire où chacun a droit de cité. Tout Avida : une compilation de références en guise de carte d’identité. Peut importe le sens, oscillant entre le bizarre préfabriqué et la lobotomie heureuse (déjà présente dans Aaltra), l’important c’est le style. Qui se constitue : d’une pellicule gros grain noir et blanc, de plans composés qui durent trois plombes, de poésie de freaks, de paysages de corons en cheminées d’usines. Très personnel tout ça. Très bas du front aussi. Car au-delà du foutraque, le film persiste à se parer d’une rigueur formelle. Un cadrage alambiqué et hop, tout le reste doit s’aligner là-dessus, asservissement plus verrouillant et clinquant que tous les préceptes de Dogma 95.
Asservissement car l’univers d’Avida reste constamment sous cloche, préparé minutieusement, mais incapable de se déployer. Une fois encore parce que la posture précède l’image, empêchant ainsi tout mouvement. On y voit là la peur de perdre le fil, angoisse contredisant l’ode au griffonnage martelée partout. Grosse contradiction donc : d’un film soit-disant généreux, où le collectif est censé prendre la main, on glisse vers un film ramassé et droit comme un « i » où pas un invité ne prend l’oeuvre à son compte. L’association des plans s’en trouve forcément formatée, jouant sur un alignement digne d’une liste de courses (après Jean-Claude Carrière, Claude Chabrol…) ou un recoupement final à faire frémir de honte. Dommage, car à vouloir se prendre pour ce qu’ils ne sont pas, Kerven et Delépine diluent les ferments de non sens distillés au millimètre dans Groland le programme télé (les armoires parlantes, seul moment drôle du film), Art majeur comparé à cette dissertation d’ado narcissique.