Alors que Benoît Poelvoorde tente un contre-emploi en fanfare pour Anne Fontaine, Elie Semoun, y va lui aussi de son rôle de composition et de son film d’auteur. Parallèle d’autant plus frappant que le comique des petites annonces incarne également un tueur renfrogné et qu’il le joue de la même façon, à l’économie mais plus muselé que sobre, comme une version en sourdine de l’Actor’s studio. On retient donc son souffle avec lui. A cause d’un sentiment de fragilité, intimement lié à la carrière cinéma de Semoun, éternellement sur un strapontin malgré les participations aux mastodontes de la comédie française. Puis par ennui, tant Philippe Collin ex critique à Elle et signataire il y a quelques années des Derniers jours d’Emmanuel Kant reste autant que sa tête d’affiche un vacancier de la profession, pas inintéressant mais très peu habité, se condamnant par sa production et ses mini-budgets, à un cinéma de poche érudit, très sec et très fermé.
Adapté de Tristan Bernard, Aux abois n’est justement fasciné que par la désincarnation, suivant les errements d’un quidam solitaire qui tue un usurier, ou plutôt qui le regarde tuer, accuser son meilleur ami, séduire lors d’une vague cavale une bourgeoise nympho un peu sonnée (Ludmila Mikael). Collin décale le jeu de Semoun et le reste s’en trouve sorti de sa coquille, comme si le film se trouait par sens de l’étrangeté (un peu), de la posture existentialiste (beaucoup), ouvrant au néant une sorte d’espace ludique : théâtralité des acteurs, soucis du détail déformant (les gros plans sur la peau du lait triturée, du Lynch made in France), plaisir de prendre le suspens à rebours, d’être ailleurs au lieu d’être là. Au bout du compte, ce dispositif dénudé trouve une plénitude mécanique très agréable tant la maîtrise est complète. Car le film a beau resté sagement plaqué à ses ouailles théoriques, la posture finit par se sublimer toute seule : oeuvre hors du temps, presque ouvertement acariâtre dans son coté cinéma de quartier, quasi rock’n roll dans sa manière de prendre les modes par le col ; l’inévitable mépris qui en découle devient aussi jubilatoire qu’élégant. Pas de doute, Philippe Collin est un pur dandy dont l’age avancé et la présence feutrée lui confèrent une grâce folle et surtout une place idéale pour rayonner. Dans la famille électron libre, on peut le préférer mille fois à Jean-Pierre Mocky, vieux con sympathique, mais lassant et toujours à la limite du charlatanisme.