Les aventures d’Austin Powers, l’espion psychédélico-libidineux de sa majesté, face à son ennemi de toujours, l’infâme Dr Denfer et ses noms de projets hasardeux (ici, « préparation H ») : on connaît la chanson. Comme le film de Resnais, Goldmember est une ambitieuse entreprise, non de recyclage, mais de duplication, de variations sur une gamme de thèmes proposés. La parodie est un art délicat : pourquoi Austin Powers s’élève-t-il très largement au-dessus de ses (trop) nombreux congénères ? La séquence pré-générique donne un élément de réponse. A la parodie attendue de Mission : impossible 2, le film superpose immédiatement un autre niveau de gag : ce n’est pas Austin Powers qui se glisse dans la peau du personnage de Tom Cruise, c’est Tom Cruise, le vrai, qui endosse l’habit powersien. Et puis c’est Spielberg, le vrai, qui règle la scène (avec Danny DeVito en Mini-Me). Mais Spielberg tout à coup effectue un salto pour rejoindre la troupe d’Austin Powers, déjà lancée dans une chorégraphie bondissante. La logique du caméo étant épuisée depuis longtemps, Mike Myers invente le caméo bidimensionnel et dynamique : si les stars sont là, autant qu’elles entrent dans la danse.
Très vite toutefois, quelque chose comme un épuisement affleure dans le film : Mini Me s’endort et n’a plus la force (l’envie ?) de lever les bras pour figurer les guillemets manuelles, Austin Powers n’est plus aussi obsédé qu’à l’ordinaire, les gags recopiés de l’épisode précédent sont écourtés. La copie conforme (de la petite mythologie powersienne en l’occurrence) serait mortifère, sans avenir. D’où, en guise de remède, ce réflexe de Mike Myers : le gag parodique à double fond, jamais solitaire, toujours repris -de l’arrière vers l’avant. Il fait retour sur, mais il relance tout de suite. Soit il est commenté (le gag juvénilo-post-moderne, cf. Eric & Ramzy), soit sa présentation est elle-même comique. Le gag, indépendamment de son contenu, fait événement, c’est déjà un gag avant même d’advenir pour de bon. A la finesse et la préciosité de l’élément parodié (de la vidéo mythique du petit chimpanzé aux aliens de Mars attacks en passant par la comédie musicale) s’ajoute un ornement inattendu qui redouble l’effet. Reprise et redoublement, la parodie selon Mike Myers est toujours en devenir -rien n’est dit qui ne sera redit- et le monde d’Austin Powers est soumis à la loi de l’éternel retour.
Mais il avance. Le duplicata en est la matrice, mais tout est question d’échelle. Changer d’échelle, c’est déjà faire un pas de côté, une promesse de relance. D’où la généreuse abondance du film et son étrange parenté avec Replicant de Ringo Lam : une profusion de ressemblances dont la différence avec l’original mérite d’être remplie (Austin et son père Nigel, Denfer et son fils Scott, la scène géniale de la babe qui parle par la bouche d’un autre, etc.). A partir de la métaphysique du même en tant qu’autre, Goldmember recompose la folle sarabande de la division cellulaire. Il est pareil à une grande fractale, cette figure géométrique où une même structure se répète à l’infini, à différentes échelles. De Mini-Me au mini-bar, de Fook Mi à Fook Yu, les jumelles japonaises, sortes de Pince-Mi et Pince-Moi « niquédéliques », du Dr Denfer à Scott, qui lui ressemble étrangement désormais, de Nigel à Austin, tout se répète mais tout est différent. Différence et répétition : Goldmember est une malicieuse comédie deleuzienne.