Petite merveille cachée humblement sous les dehors d’un titre faussement naïf, Augustin roi du kung-fu ne propose aucun effet de rappel avec le premier volet des aventures d’Augustin, réalisé il y a quatre ans par Anne Fontaine. Le personnage tragi-comique, fétiche de la cinéaste, s’enrichit cette fois-ci d’une expérience de la vie qui permet de différencier le film d’une simple comédie de situation fondée sur la confrontation entre un doux dingue et son environnement.
Comme le titre le laisse présumer, Augustin s’est découvert une passion pour les films de kung-fu, dont il tente de reproduire les différentes chorégraphies dans sa chambre de bonne. Sous le regard de la cinéaste, danseuse de formation, le kung-fu s’affranchit des préjugés réducteurs liés à l’image des sports de combat pour se révéler une des plus belles expressions de la grâce, à l’égal de la danse. L’extrait de film (Drunken masters) qu’elle choisit de nous montrer (Jackie Chan en train de s’entraîner) nous en convainc, tout en exposant la thématique qui sous-tend le film : mettre en relation l’expressivité idéale des corps, et son pesant contraire, l’inhibition. C’est le paradoxe d’Augustin, personnage guindé et un tantinet coincé, qui s’intéresse à un sport de combat alors même qu’il a la phobie des contacts physiques. A l’égal des individus qu’il rencontre lors de son séjour dans le treizième arrondissement de Paris, il a volontairement oublié son corps, trop problématique, au profit d’une vie aseptisée, voire anesthésiée.
Augustin roi du kung-fu s’émancipe alors de l’histoire individuelle qui le fonde (le trip sur l’Asie d’Augustin) pour s’ouvrir à d’autres existences, elles aussi discrètement chaotiques. L’occasion pour Anne Fontaine de mettre à l’œuvre son formidable talent de direction d’acteurs -Darry Cowl est transfiguré, et Bernard Campan étrangement plus sobre que dans Les Inconnus. Entre non-dits et occasions manquées, ce sont toutes les petites misères des vies affectives humaines qui sont dépeintes. Augustin ratera son histoire avec Ling, tout comme les autres personnages se contenteront d’une vie en demi-teinte. Ce qui engendrerait amertume et défaitisme, s’auréole chez Anne Fontaine d’un halo de sagesse qui relativise ces drames, au bout du compte peut-être pas si dramatiques.
Les personnages de Augustin roi du Kung-fu ne tombent jamais dans le misérabilisme. Au contraire, le film les présente sous l’angle plus positif de leurs rêves. C’est là son autre grande réussite que de donner vie au désir de partir, à cette envie qui nous pousse à aller voir ailleurs. Mais comme le déclare un sage bouddhiste, l’ailleurs n’est peut-être pas si loin. Pour Augustin ce sera, deux arrondissements plus loin, le quartier chinois. Anne Fontaine parvient alors à filmer Paris -pourtant archi balisé par l’histoire du cinéma- comme un espace potentiellement dépaysant. Le déménagement en vélo du héros jusqu’au treizième arrondissement se transforme en long périple, comme si l’inconnu était au bout du voyage. Par le soin accordé aux cadrages mettant en valeur l’architecture du lieu, et l’utilisation d’un éclairage parfois onirique, le quartier chinois, lui-même, prend des allures exotiques qu’on ne lui connaissait pas !
Une « petite musique de la vie » finit par se dégager de cette comédie qui flirte mélancoliquement avec les petites et grandes histoires humaines.