Dehors comme dedans, Au sud des nuages est une fiction voyageuse mi-alter, mi-guide du routard. Un groupe de semi-papys montagnards suisses, copains comme cochons, se paye chaque année un voyage grâce aux économies glanées dans l’année. Cette année, plutôt qu’Amsterdam et ses hôtesses en vitrine, ils optent pour une expédition plus téméraire : la Chine, via le transmongolien (pour le segment Moscou / Oulan-Bator). Chemises à carreaux, réserve de pinard local et matériel à belotte, les cinq compères quittent les alpages helvètes pour les steppes d’Asie centrale, rejoints dès le départ par Roger un neveu pas malin, vaguement polyglotte, allergique à la montagne, portant bob et gilet de photographe -François Morel.
Dépayser des paysans bourrus et taiseux n’est pas le seul programme du film, qui balade ses héros en bretelles de Genève à Berlin, de Moscou à Oulan-Bator, jusqu’à Pékin. D’ailleurs, tandis que le voyage avance, c’est l’hécatombe, les uns renoncent après les autres si bien qu’ils sont finalement deux à changer de continent : le Roger, un peu couillon, et l’Adrien, de plus en plus renfermé depuis qu’il a dû faire abattre son troupeau de vache, à cause de la maladie. Pas le seul programme, car le film vaut un peu plus que ce qu’il laisse supposer, à savoir qu’un voyage permet de vérifier, à l’aune de l’ailleurs, qu’on peut bien traverser le globe, on ne trouvera de l’autre côté de la planète qu’une manière de ressemblance modifiée avec ce que l’on connaît.
Le film est le documentaire de son propre tournage aussi, bien sûr, ce qui lui donne un air de home-movie sur rails, tant le rythme du montage épouse celui, monotone et distendu, d’un trajet en train. Ce n’est pas le moindre de ses charmes, cette manière de reproduire en miniature, par compression pointillée, cette sorte de trou mobile dans le temps que représente un parcours en train surtout quand il est, comme ici, interminable. Et depuis la fenêtre, le film réussit plutôt bien à faire exister ses paysages, car plus il avance, plus il épouse le mutisme du vieil Adrien (abandonné par Roger, qui s’est arrêté à Oulan-Bator pour épouser une contorsionniste mongole rencontrée au wagon-restaurant), et se pose l’aile harassée sur un banc public, quelque part au milieu de la Chine, sans pour l’instant envisager de retour.