Les amours lesbiens d’une petite nonne roumaine et d’une jeune laïque en visite au monastère ; la vocation de l’une, les désirs de l’autre ; l’hystérie croissante de la visiteuse, une histoire de possession démoniaque ; la colère du père supérieur, le réveil des superstitions, des scènes d’exorcisme. Telle est la situation d’Au-delà des collines, s’inspirant d’un fait divers qui a eu lieu en 2005.
C’est bien de situation qu’il faut parler, ou de position, puisque c’est le vrai problème du film : le monastère planté sur sa colline et les événements qui s’y passent, c’est la même chose. Fait suffisamment rare pour le préciser, dans ce film-là les événements sont des lieux. Les actions sont des endroits. Les personnages, de l’espace converti. Qui cherche une histoire, une vraie, trouve surtout de la place. Les deux lesbiennes dans leur cellule se voient moins que la cellule. Même dans l’exigu, Mungiu (Palme d’Or pour 4 mois, 3 semaines, 2 jours) cadre large, filme long, donne du mou d’un peu partout, cherche toujours à capter une sorte de réalisme contextuel sans rapport direct avec ce qu’il a à raconter. Il y a du jeu dans tous ses plans. La mise en scène est pleine de défauts de serrage, faits exprès, pour donner à l’ensemble cette ampleur académique poseuse et savantasse.
Difficile de regarder les yeux de la petite nonne sans embrasser la dure vie religieuse, les messes interminables, l’épluchage d’oignons, l’entièreté du monastère, avec aussi tout une partie de la Moldavie. Les scènes d’exorcisme finales parlent moins d’exorcisme qu’elles continuent, surtout, de peindre le paysage – et à travers la peinture, austère et froide, d’imposer un style, propre et sobre. Nous avons eu les hystéries au monocle d’Augustine, nous avons maintenant les possessions à la longue vue d’Au-delà des collines. Symptôme de nature similaire. Diagnostic : académisme.
Reste que ces défauts mêmes n’ont jamais rien de vraiment honteux : il n’est pas interdit d’admirer le panache de Mungiu, à l’intérieur de cette discipline à faire beau, propre et sage. Il y a plus détestable, dans le cinéma conformiste, que le conformisme de Mungiu. L’oeil rond de la petite moniale s’harmonise assez bien avec le nez pointu de son amoureuse. Quand celle-ci, vêtue d’un survêtement hideux qui la rend aussi garçonne que gamine, le retire, et que son buste de femme apparaît, c’est assez beau. On ne regarde pas non plus sans intérêt la bonne sœur, tant qu’il nous semble qu’elle lui cède, pouce à pouce – malheureusement elle restera pudique, sans la moindre chaleur. Ce qui ne nous dérangerait pas si cette pudeur, et cette absence de chaleur, n’étaient au fond si peu vraisemblables : de son passé, qu’elle partage pourtant avec sa copine, que garde-t-elle ? Où sont sur elle les indices, les ressouvenirs, les aspérités de sa passion amoureuse et citadine ? Transparente, décapée, sans même aucun enthousiasme visible pour la transcendance, finalement cette nonne ennuie.
Forcément, cherchant de l’oeil ce qu’il peut y avoir de vivant, on s’intéresse davantage au vice, à la canaille. De canailles, il y en aurait possiblement trois sortes dans ce film : l’amie de la nonne, imprévisible, changeante, dangereuse et peut-être possédée, donc ; le prêtre exorciste, sur lequel planent des soupçons d’emprise et d’escroquerie ; et enfin le reste des nonnes, méchantes en groupe, superstitieuses. La première des trois nous captive, du moins nous tient en haleine, parce qu’elle a le mérite de bouger quelques lignes autour d’elle. Mais globalement on sera déçu trois fois, ces crapules-là étant filmées de suffisamment loin pour qu’on les absolve d’office. Le mal est tout autour des figures, la faute en revient au gris perpétuel de l’image, au fait, à l’état de choses. Au fait divers qui, moins confus, aurait peut-être donné un film plus clair. Respectueux des procès-verbaux, Mungiu a transformé deux lesbiennes en monastère, en colline, en terre moldave. Cette année à Cannes, on a donné le double prix d’interprétation féminine à deux points de coordonnées.
Il y a deux mois pile sortait Téodora pécheresse, film fabuleux sur une autre nonne moldave, belle et amoureuse. On pouvait trouver là-dedans tout ce dont Au-delà des collines, bouffi de prestige cannois, est dépourvu : quelque chose qui se raconte, de la chair vivante, de l’amour qui se voit.