Filon vraiment exploité depuis dix ans avec L.A. confidential, la littérature de James Ellroy se porte bien à Hollywood. Assurance tout risque question rythme et noirceur, garantie absolue d’annexer la petite histoire au grand cauchemar américain : hormis l’émouvante tentative de grandiloquence De Palmienne, les « Ellroy-films » cherchent à aplanir la grammaire touffue du maître, dénudant ainsi une structure imparable, recette du polar parfait. Cette vulgarisation ne dénature rien de l’oeuvre, bien en contraire : plus qu’une fidélité plan-plan, elle souligne l’intensité du moindre détail, de la moindre réplique fleurie, du moindre petit schéma psychologique vu mille fois ailleurs (ici le flic revenu de tout). L’assurance tout risque, on vous dit. Au bout de la nuit n’en démord pas. Objet standard, efficace et serein, jamais frustrant : abonné aux basses besognes, un super-flic alcoolo se retourne contre un système de corruption qui l’a nourri comme un père depuis des années. Dit comme ça, ça fleure bon la monotonie mais filtré par Ellroy, le pitch prend une autre saveur : les certitudes du maître interdisent tout moment d’égarement.
D’autant que David Ayer est loin d’être un bras cassé. Lui aussi furète dans la chronique polardeuse depuis quelque temps (Training day, Bad times). Son film ronronne de maîtrise autant qu’il vrombit de plaisir. En témoigne l’ouverture, modèle de tension dramatique où l’installation et l’action sont étroitement mêlées. Keanu Reeves se prépare pour une opération punitive contre une mafia coréenne. En trois séquences d’une horizontalité absolue, on découvre son addiction à l’alcool, sa souplesse féline dans la jungle urbaine, ses méthodes de flic bourru et malin, ses rapports malsains à sa direction, qui l’aide à nettoyer la scène du crime. De l’action avant l’action, un pré-pitch qui ordonne tous les enjeux à venir et, dans le même temps, laisse les commandes aux personnages. Ayer l’a bien compris puisque la souplesse de son film résulte d’un affrontement entre la rigidité théorique du système (la corruption) et sa fragilité pratique – Reeves, cheville ouvrière idéale dont la sauvagerie peut se révéler contre productive à tout instant ; belle allégorie, au passage, sur la position vacillante de l’acteur à Hollywood. La subjectivité du personnage n’aliène en rien le regard que le cinéaste porte sur lui : le récit tient autant du portrait que de la machination. Ellroy n’a jamais dit autre chose dans ses livres : qu’on le veuille ou non, l’action se joue toujours à deux.