Adaptation fidèle du roman original (The Borrowers), ce nouveau Ghibli imagine la rencontre accidentelle entre la cadette d’une famille de « chapardeurs » (des lutins qui vivent clandestinement aux crochets de nos espaces domestiques) et un gamin en vacances dans sa maison de campagne. Rencontre interdite car régie par le code communautaire de stricte invisibilité aux yeux des Humains, pour la simple survie de son espèce. Sous ses airs de simple transfuge d’un best seller de la littérature enfantine, déjà adapté au cinéma ou en anime (remember les Minipouss), Arrietty pose la question de la flagrante autorité exercée par Miyazaki (crédité scénariste et producteur exécutif) sur l’imaginaire de ses successeurs.
Hiromasa Yonebayashi, ancien directeur visuel chez Ghibli, assure ici la réalisation tout en faisant preuve d’une allégeance docile au grand patron. Résultat : l’expression graphique reste timide, comme prisonnière de son classicisme. Aux prouesses et fourmillements graphiques des précédents se heurte un statisme étrange. Le décor, constellé d’à-plats en aquarelle, évoque davantage la placidité d’une Nature où s’agitent de micro-détails (les personnages), que le panthéisme habituel. Tiendrait-on là un manifeste réac contre les émulations frénétiques du numérique et / ou du relief ? Plutôt, vraisemblablement, un hommage à un art de l’estampe. Et, malgré sa posture vintage, le résultat n’en reste pas moins bluffant. D’une simplicité admirable, la mise en scène joue si bien des variations de tailles dans l’espace domestique qu’elle tend souvent au pur vertige optique.
Parfois, le film s’enferme un peu trop dans une fantaisie kawaï, dont l’insupportable pic demeure le générique ânonné par une chanteuse revenue d’un Disney Club (distribution internationale oblige). Mais le récit vaut, comment souvent chez Miyazaki, pour la profondeur cachée ses enjeux. La jeune Arrietty rappelle, par les traits comme par le caractère, le prototype féminin instauré par l’auteur depuis quelques temps (Mononoké en tête). Plus rare : le personnage masculin possède une réelle consistance. Condamné à l’immobilité (convalescent, il reste alité la majeure partie du film), il s’avère pourtant le seul à approcher un monde alternatif et dépendant de son environnement. Faut-il y voir un portrait en abyme du vieil Hayao, dont l’imaginaire visionnaire se heurte désormais à la barrière physique du vieillissement ? Sans doute pas. Mais de ce couple improbable surgissent quelques pics d’émotions – dont la magnifique apparition de l’héroïne aux yeux de son comparse humain, en ombre chinoise derrière un simple mouchoir.
Marotte miyazakienne (Princesse Mononoké, encore, peut être son plus grand film), l’impossible cohabitation de deux civilisations atteint ici un point inédit de sensibilité. Sans pour autant céder au tragique, le romantisme condamné des deux espèces teinte le film d’un voile dépressif discret, mais qui étouffe pertinemment tout risque de débordement naïf. Mineur, cet Arrietty n’atteint peut être pas l’élan vitaliste des Ghibli qu’on affectionne tout particulièrement, mais il n’en demeure pas moins un baromètre assez émouvant des humeurs de son créateur à peine masqué.