Etrange idée que la concrétisation d’Après la pluie, dernier projet d’Akira Kurosawa inabouti au moment où la mort le faucha ! Coproduit par Elie Chouraqui (?), Après la pluie, version 2000, reprend le scénario et le découpage du cinéaste décédé, avec les acteurs prévus à l’origine, les décors et les costumes déjà fabriqués à l’époque. Il s’agit donc d’essayer de réaliser un film conforme à l’idée que s’en faisait Kurosawa et ce, jusque dans les moindres détails. C’est Takashi Koizumi, son fidèle assistant, qui assure la mise en scène (et réalise là son premier long métrage après être resté pendant longtemps dans l’ombre du « maître » vénéré). Si cette volonté de copie conforme nous a d’abord rendu frileux à l’égard du film (réaliser une œuvre d’après les seuls préparatifs de son auteur équivaut quand même à renier l’étape cruciale du tournage en ne tenant pas compte des initiatives impromptues d’un génie au travail), l’humilité qui se dégage in fine de l’entreprise apaise nos craintes.
Après la pluie est l’œuvre d’un admirateur connaisseur, associé dès 1978 aux travaux de Kurosawa, l’hommage d’un compagnon respectueux qui ne tire jamais la couverture à soi et cherche au contraire à se fondre le plus possible dans l’univers d’un autre. Profondément humaniste, l’histoire imaginée par Kurosawa prend place dans le Japon de l’époque Kyôtô au XVIIIe siècle et illustre la mésaventure d’un ronin empli de compassion pour autrui. Sans emploi fixe, Ihei excelle pourtant dans l’art du combat, mais sa franchise et son honnêteté le rendent inadapté aux mœurs des cours des maîtres de domaine. Sa rencontre avec le puissant Shigeaki reproduit dans un premier temps le même schéma… Fable paradoxale, Après la pluie rappelle le don de Kurosawa pour saisir les nuances psychologiques qui composent notre humanité (dont L’Idiot serait peut-être le point d’orgue), et la réalisation de Takashi Koizumi (qui semble suivre de bout en bout le découpage initial) sert fidèlement les méandres psychiques du film. Malgré le poids de l’héritage, le film de Koizumi n’a rien à voir avec la pâle copie d’un élève laborieux. Il réussit justement une œuvre sobre illuminée par de magnifiques moments (en particulier, la présence palpable de la nature et l’atmosphère de liesse de la scène de fête à l’auberge) que n’aurait pas reniés Kurosawa. Il faut alors rendre hommage au talent et à la sensibilité de Koizumi qui permirent la résurrection accomplie de ce film orphelin. Suprême honneur ou cruelle ironie pour celui qui continue à s’exprimer par la voix de son maître…