Transformé par la canicule en gigantesque étuve alpine, à peine tempérée par la fraicheur du lac, Annecy n’en a pas moins continué de remplir sa mission unificatrice. L’édition 2017 a donc rassemblé indés internationaux et gros poissons hollywoodiens – du Cars 3 de Pixar au troisième volet de la franchise franco-américaine Moi, moche et méchant – et les valeurs sûres ont croisé les jeunes expérimentateurs encore obscurs (le programme de courts métrages reste essentiel pour deviner les contours futurs de l’animation). Quoi qu’on soit venu chercher en particulier, on en repart donc avec le sentiment d’avoir suivi un circuit polymorphe, incluant des détours vers le cinéma live : invité pour la seconde année consécutive, Guillermo del Toro est notamment venu confirmer ses talents de bateleur débonnaire lors d’une masterclass au marché international du festival (le Mifa). L’occasion pour lui de défendre les couleurs de Trollhunters, sa série produite par Dreamworks et diffusée sur Netflix, qu’il présentait à Annecy l’an dernier.
Vers la disneyisation et au-delà
« Sur vingt-quatre scripts écrits, j’ai réussi à en tourner seulement dix ; me demander des conseils pour défendre vos projets auprès des producteurs, c’est comme me demander des astuces minceur« . Malgré ses sorties gouailleuses et son autoportrait en éternel gamin luttant pour exhiber au plus grand nombre ses monstres baroques et cousus-main, del Toro n’a jamais autant évoqué un mogul solidement en place. Le voilà aujourd’hui pleinement intronisé par Dreamworks après avoir été le contremaitre (tyrannique, murmure-t-on) voire le réalisateur officieux de plusieurs titres (Le Chat potté, Les cinq légendes) depuis son poste de producteur exécutif. Aussi est-il ironique, quand on connaît sa position, de l’entendre se présenter comme un artisan trop edgy pour la bureaucratie hollywoodienne. Trollhunters atteint d’ailleurs un niveau d’aseptisation sans doute inédit pour lui, le spectre de l’auteur-bidouilleur qu’il fut ne subsistant guère que dans un gentil freak show (façon Max et les maximonstres sans odeurs) croisé avec la charte Dreamworks dans ce qu’elle peut avoir de plus platounet. Comme si, dans la suite logique de son glissement progressif vers le CGI, del Toro cédait non pas à la disneyisation, mais à la « dreamworkisation » de sa griffe. L’animation hollywoodienne recèle pourtant nombre de talents qui auraient pu lui assurer une meilleure transition vers le dessin animé, et Annecy est le meilleur endroit pour s’en rendre compte : un film comme Animal Crackers (en compétition) a prouvé que certaines petites mains américaines savent perturber le ronron de l’animation digitale. Co-piloté par le collaborateur de Disney Tony Bancroft (Mulan) et le producteur d’Arrested Development, le film évoque un Pixar joliment boiteux, qui s’autoriserait à dérailler, à mal se tenir, fort d’un postulat presque trop barré pour le jeune public – un forain raté, embauché comme goûteur de biscuits pour chiens, découvre le pouvoir de se transformer en n’importe quel animal grâce à l’ingestion de petits gâteaux chimiques. Plus élégant qu’un Dreamworks, plus brut et sexué qu’un Pixar, Animal Crackers est de ces objets à la marge de l’industrie du cartoon numérique, pas toujours promis à un grand destin commercial mais parfaits pour bousculer un peu le sempiternel match triangulaire Disney – Dreamworks – Blue Sky.
Orient(s) express
Hormis Zombillenium d’Arthur de Pins et Alexis Ducord, le reste de la compétition invitait plutôt à lorgner sur l’Orient, qu’il soit moyen (Téhéran Tabou) ou extrême (le Chinois Big Fish & Begonia – la Chine a eu par ailleurs droit cette année à une sélection spéciale). On avait loupé Téhéran Tabou à Cannes, où la rumeur promettait à la fois un choc visuel et un potentiel frondeur – en somme, tout ce que les dessins animés world sont sommés de proposer, surtout s’il viennent d’Iran. De fait, Ali Soozandeh coche minutieusement toutes les cases attendues, avec son Téhéran rotoscopé rappelant au bon souvenir de Valse avec Bachir. Sauf que le film d’Ari Folman – qui ne faisait d’ailleurs qu’imiter la technique – trouvait une vraie justification à ce filtre incongru déposé sur les réminiscences de ses intervenants hantés par la guerre du Liban. A contrario, l’Iranien ne s’en sert que pour surligner l’incommunicabilité et les couches de pudeur imposées aux femmes par un patriarcat patapouf n’ayant même plus conscience d’en être un. Téhéran Tabou est donc un film anti-régime remonté à bloc contre l’hypocrisie de tous les complices (hommes ou femmes) de la domination masculine iranienne, mais pensé pour l’export festivalier et le carton satrapiesque en salles ; trop de sûr de ses effets, il ne travaille qu’en surface l’inconfort drolatique provoqué ici et là par ses vignettes licencieuses. On est donc allé chercher le raffinement dans la Chine imaginaire de Big Fish & Begonia, singulièrement héritière de Miyazaki. Un ange y atterrit et s’amourache d’un homme qui lui sauve la vie et meurt, avant de se réincarner en dauphin. Bardé de renvois à des mythologies fatalement obscures pour l’ignare en sinologie, l’aventure prend un tour fiévreusement surréaliste dépassant le simple dépaysement, grâce à un fourmillement faussement incontrôlé – l’animation comme la narration semblent très maîtrisés – qui fonde son charme certain.
Love exposure
Si la Chine s’est invitée un peu partout, le Japon est sorti grand vainqueur, décrochant la timbale suprême de la compétition avec Lou et l’île aux sirènes tandis que le prix du jury revient à Dans un recoin de ce monde du jeune studio MAPPA qui, depuis la retraite de Miyazaki et la perte de vitesse accusée par Ghibli, porte les espoirs de nombreux consommateurs d’anime. Dans un recoin de ce monde, signé Sunao Katabuchi, est à la hauteur d’une telle attente, sans pour autant renouveler radicalement la tonalité lyrique des ainés (ici, le trait est plus proche de Takahata). C’est toutefois une autre adaptation de manga shōnen que l’on aurait bien vue sur le podium : avec ses badinages adolescents, faussement insignifiants (pas loin de ceux du très beau Your Name, hit faramineux à domicile mais à peine remarqué ici l’an dernier), A Silent Voice fait de l’habituelle awkwardness lycéenne son sujet, suivant les pas d’une petite nouvelle sourde et muette et de son ancien bully devenu amoureux d’elle. L’un et l’autre se rendront compte que l’on risque de tuer l’autre en échouant à lui dire qu’on l’aime. Un romantisme pastel typique de ces B.D. pour ados nippons, mais dont émane une force sombre une fois transposé à l’écran, grâce à un subtil effet de grossissement. Curieusement, les choses les plus légères acquièrent une pesanteur folle : les sorties d’écoles, les secrets murmurés en classe, les flirts balbutiants et autres tropes de la chronique adolescente auxquels seule l’animation japonaise sait donner une telle ampleur dramatique. On est certes loin du chef d’oeuvre, mais la sensibilité d’A Silent Voice ou de Dans un recoin de ce monde laisse tout de même penser que l’héritage de Ghibli est à chercher ailleurs que dans le parc d’attraction que s’apprête à ouvrir le studio. C’est déjà quelque chose.