De Yu Lik Wai, on savait jusqu’alors deux choses. D’abord qu’il est le chef opérateur et le complice attitré du plus grand cinéaste chinois d’aujourd’hui, Jia Zhang-ke (Plaisirs inconnus, Platform, Wu artisan pickpocket + lire notre entretien avec le cinéaste chinois réalisé en janvier 2003). Ensuite qu’il est lui-même un cinéaste, prometteur, auteur d’un beau premier long métrage, Love will tear us apart (arrivé jusqu’à nous il y a quelques années) qui en avait révélé les qualités : film tout en fractures et en distances intérieures, qui affichait son spleen sur les flancs de Hongkong (« la plus grande douleur d’un homme » scandé sur tous les murs de la ville), où venaient échouer une poignée de Chinois du continent. De Love will tear us apart à All tomorrow’s parties, de Joy Division au Velvet Underground, le cinéma de Yu Lik Wai ne gagne pas vraiment, sinon en ambitions. En ambitions : incorporer ce cinéma de solitude à la triple immensité d’un genre (la science-fiction, l’anticipation), d’un territoire (la Chine en friche), d’un champ politique (l’après communisme). All tomorrow’s parties est un objet embarrassant, invitant à n’en rien dire, ni qu’on l’aime ni le contraire, faisant l’effet d’un film là seulement pour manifester son existence. C’est en tout cas l’effet qu’il fait.
Tout se passe en un lieu de transit historique, dans un chaos indéterminé faisant suite au maoïsme et à ses avatars, dans une Chine aux mains d’une secte politico-religieuse totalitaire, où deux frères et une jeune mère sont déplacés de camps de travail en ville fantôme, en passant par un train sans tête, suite de wagons sans locomotives. De la salle d’interrogatoire à une douche suspecte, en passant par une fête aberrante où, masque sur le nez, on se trémousse sur une marche militaire. Bien sûr on pense à Stalker de Tarokovski, par cette manière de faire coïncider désordre industriel, restes métalliques, et « zone » aux teintes fantastiques, squelette du communisme, avenir en ruines d’un pays. All Tomorrow’s parties rebute par sa lourdeur, la pesanteur de son programme et de son ambition. Et pourtant, Yu Lik Wai le sauve là par où il se montre le plus modeste et le plus simple : les corps de ses acteurs (on aura reconnu ceux de Jia Zhang-ke), leurs visages, arrachés au gris des cathédrales en morceaux formant le lit du futur déjà éteint d’un monde anxiogène et cendreux.