Il y en a un, aujourd’hui, qui doit se mordre un peu les doigts de n’avoir pas suivi son frangin de cinéma sous le soleil californien. Furieusement jaloux de son indépendance, l’ami Caro doutait qu’un petit frenchie fraîchement débarqué à L.A. puisse longtemps résister à la pression des studios et aux lois impitoyables du box-office. C’est pourtant ce défi que Jean-Pierre Jeunet, co-réalisateur avec lui de Délicatessen et de La Cité des enfants perdus, vient de relever superbement avec cet inattendu opus 4 des aventures du vilain lombric inter-sidéral, Alien le mythique.Inattendu, oui, d’abord et avant tout parce qu’elle avait bien juré qu’on ne l’y reprendrait plus, la Weaver, à jouer les génitrices d’abominables créatures. Et puis d’ailleurs, peu de chances que l’officier Ripley ressorte bien fraîche de la cuve d’acier en fusion où elle s’était jetée à la fin du troisième volet ! Heureusement, le génie de la génétique… Les mauvaises langues diront que les 11 millions de dollars proposés par la Fox auront fait réfléchir deux fois l’intrépide Sigourney ; celle-ci préfère invoquer l’originalité du nouveau script et l’occasion de travailler avec un metteur en scène français. Tout cela s’équilibre sans doute fifty-fifty, car, aux plus agnostiques ou sceptiques d’entre tous, on peut assurer que pareille résurrection n’a jamais mieux porté son nom. Voilà en effet -et sans doute est-ce le plus inattendu, en tout cas au regard de ce que l’exil de certains metteurs en scène outre-Atlantique nous a donné à voir récemment…- un film 100% « alienesque » et 100% Jeunet, fidèle à l’esprit de la saga et hautement personnel, le plus personnel, peut-être, depuis l’épisode fondateur. Ce que d’aucuns craignaient est évité : cet Alien 4 n’est pas une resucée (forcément plus médiocre) de quelque autre épisode de la série (et surtout pas du Scott, dont il est aux antipodes), mais bel et bien un Alien nouvel manière. Loin de perdre son âme, le Français réalise le double tour de force de réaliser son meilleur film et de régénérer le mythe, en y instillant tous les éléments constitutifs de son univers si spécial, d’une esthétique reconnaissable dès le premier plan. Le plus neuf, bien sûr -car le plus étranger, justement, à la tradition Alien-, étant cet humour noir, cette subtile et perverse ironie qui traverse le film d’un bout à l’autre, au point même qu’on en regretterait parfois que certains aspects ambigus du scénario soient tout juste esquissés (on pense surtout au couple littéralement extra-ordinaire Weaver/Ryder, mais aussi à la relation quasi-érotique entre Ripley et la reine…). Sans doute est-ce là la seule concession accordée aux studios américains : on a hâte, à ce propos, de voir les réactions du public yankee à ce film somme toute très… français ! Tout le reste est du même -et meilleur- tonneau, de la sublime photo de Darius Khondji, aux décors de Nigel Phelps, sans oublier, évidemment, la nouvelle créature (humaine, si humaine…) et les inénarrables Ron Perlman et Dominique Pinon, pierres de touche d’un casting impeccable.
Film d’action, donc, mais pas seulement (comme pouvait l’être le Cameron), réflexion sur les mœurs de notre temps, film-miroir sur l’humanité (et, surtout, sur l’inhumanité qui n’est pas forcément là où l’on croit…), tout ça, donc -et tout ce qu’on ne vous dit pas !- contribue à faire de cette Résurrection un monstre de jubilation…